Depuis le 2 septembre 2020, date de l’ouverture du procès des 14 complices des terroristes auteurs du massacre de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher commis à Paris en janvier 2015, la Cour d’assises spéciale a buté sur la même interrogation: peut-on être considéré comme coauteur d’un attentat si l’on ignore les contours de celui-ci, mais que le dessein meurtrier des terroristes ne fait guère de doute?

La réponse est tombée ce mercredi un peu après 17 heures au Palais de justice de Paris, en présence des 11 accusés (trois autres étant en fuite ou portés disparus depuis le début des audiences, dont la veuve de Coulibaly, Hayat Boumedienne): oui, la responsabilité de l’acte terroriste incombe aussi à ceux qui, sans avoir connaissance du lieu ou des conditions de l’attaque à venir, savent que leurs interlocuteurs ou amis se préparent au pire.

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Les magistrats français ont, de ce point de vue, refusé de considérer la seule nature littérale du crime reproché aux accusés (trafic d’armes, financement, rédaction d’une lettre d’allégeance à l’Etat islamique…) pour retenir aussi le poids de leur silence et de leur cécité, face à la probabilité d’un passage à l’acte violent. Le lien ombilical entre terrorisme islamiste et délinquance a, de nouveau, été exposé en long et en large par ce procès fleuve. Un délinquant qui soutient sur le plan logistique un ex-codétenu radicalisé devient coupable de son éventuelle dérive idéologique et meurtrière.

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Savoir que tous les accusés ont été condamnés, y compris ceux qui ont seulement prêté une assistance ponctuelle aux frères Kouachi (tueurs de Charlie) et à Amedy Coulibaly (tueur de l’Hyper Cacher), est la preuve que la justice a compris le mécanisme d’engrenage qui permet à des fanatiques de perpétrer leurs crimes dans des sociétés ouvertes et démocratiques. C’est le point, au final, le plus important.

La France a appris, au fil des audiences de ce procès scandé par de nouveaux attentats (en particulier la décapitation du professeur Samuel Paty et le meurtre de trois personnes dans une basilique de Nice) qu’un tueur islamiste, aussi isolé soit-il, n’agit jamais complètement seul. Il a besoin d’une logistique. Il s’appuie sur des malfrats qui partagent sa vision de l’islam radical ou choisissent de fermer les yeux. Il agit dans la société comme un virus, contaminant tous ceux qu’il fréquente. La leçon de ce procès est donc que seuls le renseignement, l’infiltration et l’assèchement de ce marécage de complicités peuvent permettre d’en finir avec l’horreur. Dès lors qu’un criminel endurci croise le chemin d’un radicalisé violent, le pire peut arriver.

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Un autre enseignement de ce long procès est en revanche plus difficile à accepter. La condamnation des complices, même à des peines de prison lourdes, ne sera jamais réparatrice. Elle ne peut pas dire tout de ce qui s’est passé, en amont des attentats de janvier 2015. Les audiences et les interrogatoires, aussi précis soient-ils, n’ont fait que brosser le portrait d’hommes et de femmes, en insistant sur leurs dérives.

L’exemple d’Ali Riza Polat, condamné à 30 ans de réclusion avec une peine de sûreté des deux tiers, dit bien ce volet du procès. L’homme a presque injurié les magistrats. Il a surjoué son état de santé défaillant en public. Fallait-il s’attendre à mieux? Non. Ces prévenus étaient là, devant les juges, car ils n’ont eu dans le passé que le souci de s’enrichir par des trafics, ou de laisser semer la haine contre la France et la liberté de penser dans l’espoir d’en récolter les fruits. Ces soutiers de l’horreur ont misé sur la terreur, ou se sont laissés séduire par elle.

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Le procès de Charlie, en ce sens, aura été le miroir d’une réalité indéniable, dans la population française et belge issue de l’immigration: celui du risque que fait peser sur toute une communauté, tout un pays et toutes nos valeurs une frange d’individus en rébellion contre une société qu’ils ne respectent pas et ne craignent pas. Pire: une société qu’ils rêvent de déstabiliser pour en tirer les plus vils profits.