France
La journée de jeudi a de nouveau été marquée par de sérieux affrontements dans l’Hexagone autour du projet de loi sur la réforme du travail. Reportage à Toulouse où une manifestation a réuni 10 000 personnes, selon les organisateurs

Ils ne veulent rien savoir. Dans ce quartier Compans-Cafarelli d’où s’écoule le cortège de la CGT toulousaine, les chiffres de la mobilisation en baisse au niveau national n’entament pas la détermination des marcheurs. Eric, facteur en grève, est l’un des rares manifestants à participer conjointement aux journées d’action de la CGT et aux rassemblements nocturnes du collectif «Nuit Debout», sur la place du Capitole, à Toulouse.
Il résume: «Soit le gouvernement écoute les Français qui, selon les sondages, sont sept sur dix à demander le retrait de cette loi pour éviter la colère [enquête Elabe/BFM-TV]. Soit il écoute les patrons qui, depuis le début de ce soi-disant quinquennat de gauche, n’ont rien lâché et ont tout obtenu!» Ses voisins font claquer leurs banderoles rouges. Peu de jeunes. Pas mal de cheveux gris. Beaucoup de fonctionnaires, postés devant la cité administrative de la ville rose: «On est déterminés, poursuit Samia, une employée du métro. Ce texte, c’est une mine posée sous les pieds des syndicats.»
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Du boulevard Lascrosses au boulevard de Strasbourg, sur le parcours de la manif toulousaine, un seul slogan. «Loi El Khomri article 1: Travaille! Loi El Khomri article 2: Ferme ta gueule! Loi El Khomri article 3: la CGT est dans la rue!.» Peu d’automobilistes se plaignent et klaxonnent. Pas d’incident cette fois même si une sirène de police retentit. Les organisateurs parlent de 10 000 personnes. Ils sont sans doute plutôt 5000, et ils promettent de remettre ça le 14 juin, pour la prochaine journée d’action.
Tradition arnarcho-syndicaliste
Dans la ville rose, la tradition anarcho-syndicaliste a toujours été bien ancrée. L’Espagne et la Catalogne de Podemos ne sont pas si loin. Et la posture d’autorité déployée à Paris par le premier ministre Manuel Valls fait sourire. L’on sait ici, que le potentat local Jean-Michel Baylet, propriétaire de l’influent quotidien La Dépêche du Midi et redevenu ministre en février (Aménagement du territoire), a longtemps «balancé» sur le locataire de Matignon et sur le président François Hollande. «Baylet, en privé, ne cachait pas sa piètre opinion des deux hommes, confirme un journaliste de son quotidien, désireux de rester anonyme. Il faut donc comprendre la détermination de la CGT à cette aune: le syndicat croit que si le blocage s’installe vraiment, l’Elysée reculera.»
Dans la manifestation, cachées derrière une banderole «Loi travail, usine à précarité», deux militantes discutent. Elles savent que le pari de la confrontation totale du patron de la CGT, Philippe Martinez, est en partie un bluff. A Airbus, le premier syndicat français (26,77% des voix aux élections professionnelles en 2013, contre 26% pour la CFDT, favorable au texte dans sa version adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale le 12 mai) est ainsi passé en dessous des 10% des voix, devancé par Force ouvrière, également hostile au texte El Khomri. Les militantes savent aussi que l’image jusqu’au-boutiste de l’ex-centrale syndicale communiste passe mal auprès des jeunes générations. Peu de «Nuit Debout» pactisent d’ailleurs avec la CGT.
Le «donnant-donnant» est une illusion
N’empêche: Samia se sent investie d’une mission. «Nous sommes opposés à ce texte parce qu’il ramène tout au niveau des entreprises. On parle de faire voter les salariés. Mais que vont-ils voter si leurs patrons les menacent sans cesse de mettre la clef sous le paillasson?» Le discours est rodé: Le «donnant-donnant» est une illusion. Les prochaines élections professionnelles dans les industries électriques et gazières (donc dans les raffineries et à EDF, épicentre de la lutte), en novembre 2016, sont dans le collimateur: «Nous sortirons renforcés de cette lutte, même si le gouvernement maintient le texte. Nous serons ceux qui ont tenu envers et contre tout», poursuit Samia.
Mercredi soir, la gréviste de 57 ans, a néanmoins fait un détour par la conférence publique du Prix Nobel d’économie Jean Tirole à la médiathèque de Toulouse. Elle a entendu le professeur de la Toulouse School of Economics redire que le chômage en France, à cause des rigidités du marché du travail et de «la protection de l’emploi et non des personnes», avoisine sans doute dans la réalité 20%, contre le taux officiel de 10,2%. Alors? «Nous sommes réalistes, reconnait-elle. Le monde change. Mais il n’est pas normal que les salariés français en paient le prix.» La bataille continue.
Repères
- Entre 150 000 et 250 000 manifestants ont défilé jeudi contre le projet de loi El Khomri. La police a procédé à 77 interpellations.
- C’était la 8e journée d’action, à l’appel de sept syndicats emmenés par
la CGT et Force ouvrière. La prochaine est fixée au 14 juin.
- Le texte est examiné au Sénat après avoir été adopté en urgence le 12 mai par l’Assemblée nationale en première lecture.
(LT)