«La classe politique avait provoqué de nouvelles élections pour soi-disant nous sortir d’un labyrinthe et, au final, nous nous retrouvons encore plus enfermés.» Cette réflexion de l’analyste Mariam Martinez-Bascuñan résume à la perfection la leçon des législatives de ce dimanche. Au lieu d’améliorer la gouvernabilité, comme le clamait le premier ministre Pedro Sanchez la veille du scrutin, cette répétition électorale complique davantage les choses.

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Certes, le Parti socialiste a réédité sa victoire obtenue le 28 avril en arrachant 120 députés mais, loin de la majorité absolue fixée à 176 sièges, il sera très difficile à Pedro Sanchez de sortir le pays de l’instabilité chronique dans laquelle il est installé depuis 2015. Sans compter que la participation en baisse (69,8%, 6 points de moins qu’en avril) et la montée en puissance du vote d’extrême droite (de 24 à 53 sièges, désormais la troisième force parlementaire) montrent la colère de l’électorat.

«Grande abstention» ou «grande coalition»

Dans un parlement encore plus fragmenté, seules trois solutions s’offrent désormais pour permettre la formation d’un gouvernement et éviter le cauchemar d’un troisième scrutin anticipé consécutif. La première a déjà été baptisée par les médias «la grande abstention». Selon ce scénario, le socialiste Pedro Sanchez serait investi grâce au feu vert de son grand rival du Parti populaire, deuxième formation avec 88 députés. Il devrait gouverner en minorité, obligé de légiférer en fonction d’accords avec d’autres formations. «En clair, souligne le politologue Pablo Simon, cela reviendrait pour Sanchez à piloter le pays avec des priorités à géométrie variable, à la merci des desiderata des uns et des autres.» Selon l’avis général, cette solution précaire ne pourrait pas durer bien longtemps et déboucherait, au mieux, sur un nouveau scrutin anticipé en 2021.

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La deuxième solution consisterait en une «grande coalition». Sur le modèle allemand, les deux grands partis uniraient leurs destins dans cette législature, en l’occurrence le Parti socialiste et le Parti populaire, qui ont gouverné l’Espagne en alternance depuis la fin du franquisme en 1979. Cette option présente l’avantage manifeste de la stabilité, puisque, à eux deux, socialistes et populares cumulent 208 des 350 députés. Mais les inconvénients sont lourds: «Non seulement les deux rivaux se haïssent cordialement et affirment que leurs programmes sont aux antipodes, note le commentateur José Miguel Contreras, mais cette solution n’a jamais été adoptée. Il n’y a pas en Espagne de culture de la coalition.» Autre obstacle de taille: étant donné le score considérable de Vox à l’extrême droite, le leader du PP, Pablo Casado, prendrait tous les risques en se rapprochant des socialistes. «Il offrirait un boulevard à l’extrême droite», résume Pablo Simón.

L’hypothèse de la gauche radicale

La troisième solution n’est pas moins improbable et complexe: la «coalition de fortune», soit la constitution d’un exécutif dirigé par Pedro Sanchez avec l’appui de la gauche radicale de Podemos, et d’une multitude de formations plus modestes, nationalistes basques ou catalans, régionalistes canariens ou galiciens… L’arithmétique dit qu’une telle alliance disparate pourrait obtenir 180 sièges et donc gouverner avec une majorité. L’ennui est précisément le caractère composite et contradictoire de cet hypothétique regroupement: «Cela supposerait que Podemos entre dans le même bateau que les libéraux de Ciudadanos ou les nationalistes basques du PNV, souligne l’analyste José Antonio Zarzalejos. Or, ils défendent des politiques opposées concernant le dossier catalan ou la recentralisation de l’Etat!» En dépit de toutes ces difficultés, Pedro Sánchez devra batailler pour une de ces trois solutions.