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Ukraine Stories: censure, maris infidèles et sirènes insoutenables: en Ukraine, «c’est le monde à l’envers»

Au début de la guerre, Kira n’a pas fui l’Ukraine. Plus que les bombardements, ce sont les nouvelles mœurs qui l’affectent le plus. Entre censure, sirènes aériennes et infidélités, ses confidences à son amie d’enfance la journaliste Yana Sadivska

Alors que de nombreuses mères et leurs enfants se sont réfugiés à l’étranger, Kira raconte que certains maris restés en Ukraine fréquentent de nouvelles femmes. — © Alessio Mamo / Guardian / eyevine / laif / Alessio Mamo / Guardian / eyevin / laif
Alors que de nombreuses mères et leurs enfants se sont réfugiés à l’étranger, Kira raconte que certains maris restés en Ukraine fréquentent de nouvelles femmes. — © Alessio Mamo / Guardian / eyevine / laif / Alessio Mamo / Guardian / eyevin / laif
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Ce texte est issu du projet «Ukraine Stories» lancé par le partenaire anglophone du «Temps» Geneva Solutions, qui traite de la Genève internationale. Il s’agit de soutenir et de publier le travail de dizaines de journalistes ukrainiens et russes qui ont perdu leur poste ou leur média mais pas leur savoir-faire.

Une campagne de financement participatif a permis de couvrir les deux premiers mois du projet. Si vous souhaitez le soutenir pour la suite, contactez-nous par email à l'adresse info[at]genevasolutions.news.

«Au début de la guerre, même si l’on entendait les missiles et les obus, l’armée ukrainienne les interceptait et je me sentais en sécurité. Je suis donc restée», témoigne Kira. La jeune femme travaille dans un entrepôt pharmaceutique. Alors que les prix ont explosé depuis le début de la guerre, son salaire, lui, n’a pas augmenté: les innombrables commandes annulées et la fermeture de nombreuses pharmacies compliquent la situation économique de son entreprise. «Les Russes ont bombardé un entrepôt très important au début de la guerre. Depuis, il y a pénurie des produits nécessaires à la fabrication de médicaments et les prix se sont envolés», explique-t-elle.

Depuis le début de la guerre, Kira enchaîne les activités pour ne pas sombrer dans la dépression. Ce ne sont ni son salaire, ni la guerre qui l’affectent le plus, mais les nouvelles mœurs.

Des maris infidèles

«De nombreuses mères et leurs enfants se sont réfugiés à l’étranger où ils vivent dans des conditions précaires. Pendant ce temps, certains maris restés en Ukraine les trompent avec de nouvelles compagnes. C’est absolument immonde», déclare Kira, qui s’est fait aborder par des hommes dont elle connaît la famille.

«Il y a aussi des revers à la médaille, poursuit-elle, comme cette réfugiée en Angleterre qui s’est enfuie avec le père de sa famille d’accueil après deux jours». Tout cela l'ébranle profondément. «C’est le monde à l’envers. On aurait tous besoin de consulter un psychologue», dit-elle, espérant que des sociologues se pencheront sur le sujet pour mieux comprendre où va une société en guerre comme l'Ukraine.

«Beaucoup d’informations ne sont pas divulguées»

En dehors des infidélités des hommes restés au pays, Kira est aussi choquée par la censure. Alors qu’elle donnait son sang afin de soutenir les soldats blessés, Kira raconte avoir discuté avec un ami qui travaille dans un hôpital militaire. «Il a mentionné que son établissement avait reçu une dizaine de soldats russes qui souffraient de traumatismes liés à leur captivité dans les prisons ukrainiennes. Puis, il s’est abruptement arrêté et a dit: 'peut-être que nous ne devrions pas parler de cela car nous ne pourrons jamais vérifier ce qui s’est passé ou lire ces informations dans la presse, pas vrai?'», explique la jeune femme. Kira dit qu'elle ne trouve plus d'informations détaillées dans les médias ukrainiens. D’après elle, la guerre a fourni un prétexte aux autorités pour se débarrasser de l’opposition. Deux chaînes télévisées associées à l’ancien président Petro Porochenko ont récemment été censurées.

«Beaucoup d’informations ne sont pas divulguées, comme la coupure récente du signal des chaînes Espresso et 5 Kanal. Elles sont désormais uniquement accessibles sur YouTube ou avec un décodeur. Les gens suivent plus que les nouvelles officielles et l’opposition est quasi inexistante», explique Kira.

«Je ne réagis même plus aux sirènes»

Pendant ce temps, beaucoup d’Ukrainiens retournent chez eux et essaient de faire comme si de rien n’était, même si cela est impossible, juge Kira. «On dirait des nouveaux riches qui roulent en voiture de luxe dans des rues vides, alors que les sirènes d’attaques aériennes continuent de retentir», dit-elle en rigolant. Je lui avoue timidement que, vivant à l’étranger depuis de nombreuses années, je n’ai jamais entendu ces sirènes. «Elles sont insupportables et retentissent plusieurs fois par jour. Et encore, il n’y en a pas tant là où je vis, mais j’entends celles de l’autre côté de la ville. Je ne réagis même plus, ce qui est vraiment terrible.» Kira explique que certaines personnes ont également téléchargé sur leur téléphone une application qui émet une alarme dès que les sirènes retentissent. «C’est encore pire», dit-elle. Elle, a décidé de supprimer cette application de son téléphone portable. «Je peux enfin dormir et chaque matin, je me réveille heureuse d’être encore en vie.»

Pour écouter les sirènes aériennes ukrainiennes, cliquez ici.

Yana Sadivska est une journaliste ukrainienne basée en Europe. Elle écrit sous un pseudonyme. Traduction et adaptation: Aylin Elci