Logo Ukraine Stories

Ce texte est issu du projet «Ukraine Stories» lancé par le partenaire anglophone du «Temps» Geneva Solutions, qui traite de la Genève internationale. Il s’agit de soutenir et de publier le travail de dizaines de journalistes ukrainiens et russes qui ont perdu leur poste ou leur média mais pas leur savoir-faire.

Une campagne de financement participatif a permis de couvrir les deux premiers mois du projet. Si vous souhaitez le soutenir pour la suite, écrivez info[at]genevasolutions.news

J’ai rencontré Yana grâce à mes nouveaux colocataires, Nastya et Bogdan. Je viens de Kiev, eux de Kharkiv, mais nous nous sommes tous réfugiés dans une maison à l’ouest de l’Ukraine. A eux deux, ils ont beaucoup d’amis médecins, parmi lesquels Yana Krylenko, qui est gynécologue depuis 32 ans au Centre périnatal régional de Kharkiv.

«Notre maternité est proche du centre et la situation change tous les jours, m’explique Yana au téléphone depuis son lieu de travail, parfois les combats sont très proches de nous.»

A 35 kilomètres de la frontière russe, Kharkiv est l’une des villes les plus détruites du pays. Le 24 février, il a plu des missiles, et deux jours plus tard, les chars russes sont entrés dans la ville de 1.5 million d’habitants. Aujourd’hui, la ville est partiellement assiégée.

Il y a peu de patients, mais encore moins de médecins. «Peu de femmes enceintes sont encore ici mais nous sommes prêts pour les cas de force majeure. Les mères donnent naissance dans la salle d’accouchement, puis sont descendues avec le bébé dans la cave», dit-elle.

Dans la salle d’opération, les fenêtres sont recouvertes de bâches en plastique pour que les vitres brisées ne blessent ni les médecins, ni les mamans, ni leurs nourrissons. «Le bloc continue de fonctionner. C’est uniquement s’il y a beaucoup de bruit à l’extérieur que nous descendons à la cave», explique Yana.

Vu l’impossibilité de se déplacer entre la maison et le lieu de travail deux fois par jour, depuis mars, le personnel a adapté ses horaires. Il travaille deux jours d’affilée à l’hôpital et se repose pendant le reste de la semaine. Le jour où je parle avec Yana, les rails de trams de Kharkiv sont démantelés suite à un bombardement russe. Je lui demande si elle n’a pas peur que le même sort attende l’hôpital.

«En mars, un bout d’artillerie a brisé les fenêtres de la salle d’examen mais heureusement, personne n’a été blessé», dit-elle d’une voix calme, comme si ce genre de chose arrivait dans toutes les maternités du monde.

La dernière attaque au centre de Kharkiv est récente, elle date du 3 mai. Pourtant, Yana refuse toujours de quitter la ville. «Mes enfants ont fui à Kropyvnytskyi, dans le centre du pays, mais mon mari, ma mère et moi voulons rester. Les personnes ont besoin de nous ici. C’est comme si les médecins sont mobilisés. Même si personne ne nous le demande, nous sommes utiles, et elle ajoute, je ne veux une médaille, je veux juste être à la maison.»

Tout comme les chars russes, la peur ne semble pas s’attarder à Kharkiv. Alors qu’il y a dix jours le maire de la ville a confirmé la destruction d’un tiers des maisons de la ville, Yana me répond simplement qu’il y a toujours du raffut. Elle explique: «on a très vite compris que s’il y a un sifflement, il faut s’allonger au sol, mais s’il y a un bruit de tonnerre, c’est notre armée ukrainienne. C’est bon signe.»

Je crois que j’entends à travers le combiné Yana tirer sur sa cigarette. Je lui demande ce qu’elle compte faire quand la guerre se termine. Elle prend une longue pause, la première depuis le début de notre conversation. Sa voix tremble et elle explose: «Je veux les étrangler tous. Ils doivent assumer la responsabilité de leurs actes. Aujourd’hui, à une heure du matin, un couple merveilleux est arrivé, un homme très gentil et sa femme, jeunes, beaux, avec une grossesse à terme. Ils n’ont rien demandé de tout cela et certains monstres osent leur ruiner la vie. C’est bien dommage pour les enfants qui naissent.»

Oleksandra Ambroz est une journaliste de la télévision à Kiev. Elle a récemment été évacuée en Ukraine de l’ouest. Traduction et adaptation: Aylin Elci

Lire l’article en entier sur Geneva Solutions (en anglais)