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Ce texte est issu du projet «Ukraine Stories» lancé par le partenaire anglophone du «Temps» Geneva Solutions, qui traite de la Genève internationale. Il s’agit de soutenir et de publier le travail de dizaines de journalistes ukrainiens et russes qui ont perdu leur poste ou leur média mais pas leur savoir-faire.

Une campagne de financement participatif a permis de couvrir les deux premiers mois du projet. Si vous souhaitez le soutenir pour la suite, contactez-nous par email à l'adresse info[at]genevasolutions.news.

Plus de 13 millions d’Ukrainiens ont quitté leur foyer au début de la guerre. Parmi les 5 millions qui ont quitté le pays, 25% seraient déjà rentrés, rapportent les Nations Unies.

Kateryna et son mari, ainsi que Diana et sa sœur, en font partie. Les premiers ont été rattrapés par la guerre pendant un séjour familial au Kosovo, et à Malte lorsque Diana a été rongée par la culpabilité ressentie lors de son accueil idéal à Vienne.

«Nous n’avions même pas éteint le chauffage»

En Ukraine, les rumeurs d’une invasion russe imminente circulaient avant le 24 février. Malgré cela, sur insistance de leurs enfants, Kateryna et son mari sont partis en vacances.

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«Nous avions prévu de partir en mars, mais pour finir, le 12 février, nous avons pris quelques documents avec nous et nous avons roulé jusqu’en Transcarpatie [à l’ouest du pays], explique Kateryna. Nous n’avons pris ni objets ni bijoux. Nous n’avions même pas éteint le chauffage chez nous.»

Là, dans un sanatorium qu’ils fréquentent depuis dix ans, ils ont appris le début de la guerre. Alors que des bombes tombent à moins de 10 km de leur foyer à Kiev, leur première réaction est de vouloir rentrer chez eux. Les images de millions de voitures bloquées à la sortie de la capitale les en dissuadent. Ils décident de se rendre en voiture au Kosovo, où leur fille aînée vit avec sa belle-famille.

«J’avais honte de ne pas être en Ukraine avec tout le monde, se souvient Kateryna. Un matin, à Pristina, je suis allée en ville, je me suis assise sur un banc et j’ai longuement pleuré. Mon mari a fait pareil et a erré dans les rues pendant plusieurs heures.»

Dans cette ville où ils avaient l’habitude de passer des bons moments avec leurs petits-enfants, ils se trouvaient désormais mal à l’aise. Ils se sont donc envolés pour Malte, pour visiter leur fille cadette mais ils n’étaient toujours pas sereins. Ils sont alors retournés au Kosovo récupérer leur voiture et rentrer chez eux.

«Quand nous avons réalisé que Kiev était de nouveau calme, nous avons rassemblé nos affaires et nous sommes rentrés chez nous, explique Kateryna. Nous avons repris la même route que début février, mais cette fois, le sentiment était complètement différent.»

Une fois sur place, le couple est sous le choc. «Sur l’autoroute, jusqu’à 150 km de Kiev, presque rien ne rappelait la guerre. Mais quand nous sommes arrivés, j’ai pleuré face aux maisons détruites et aux voitures brûlées. C’était effrayant», explique Kateryna. Depuis son retour, le couple à du mal à trouver les mots et est sur la retenue.

«J’avais constamment envie de pleurer»

Diana, 20 ans, et sa sœur de 15 ans sont originaires de Kropyvnytsky, ville située à 300 km au sud de Kiev. Le matin du 24 février, alors qu’elles roulent vers l’aéroport de la capitale pour s’envoler vers l’Autriche où vit leur mère, le conducteur du bus leur annonce que la ville est bombardée et que l’Ukraine est en guerre. Elles retournent chez elles, et le lendemain tentent de prendre un train pour Lviv.

«Nous sommes arrivées à 7h du matin et nous avons attendu 18h avant de pouvoir nous faufiler dans un wagon d’évacuation. Des sacs déchirés et des documents gisaient partout, explique Diana. Ce n’était plus une file d’attente mais une masse qui se déplaçait chaotiquement, qui criait, qui se disputait et se battait.»

Au lieu des deux heures habituelles, le trajet jusqu’à la frontière polonaise dure 24 heures. Après un arrêt à Cracovie, les jeunes femmes arrivent enfin à Vienne. «En Autriche, je pouvais vivre et travailler normalement. Je pouvais même obtenir de l’aide, mais j’y étais mal à l’aise», admet Diana.

Malgré ces avantages, deux mois après son arrivée, elle est épuisée et veut rentrer chez elle. «J’avais constamment envie de pleurer et je m’inquiétais beaucoup pour mes amis restés en Ukraine», raconte la jeune femme, qui dit avoir rencontré de nombreux compatriotes dans la même situation.

La mère de Diana n’accepte pas qu’elle quitte l’environnement calme et sûr de Vienne. Les deux femmes se fâchent. Alors que sa petite sœur reste en Autriche, Diana rentre seule.

«Un jour, j’ai acheté un billet pour rentrer. Je suis repassée par la Pologne et de là, j’ai fait le trajet en bus jusqu’à ma ville, explique Diana. C’était un voyage beaucoup plus calme que celui de l’aller. L’attente aux checkpoints était joyeuse.»

Depuis son retour, elle savoure son foyer, sa vie et ses amis. «Quand je suis rentrée chez moi, un poids s’est enlevé de mon cœur. Je suis entrée dans mon appartement et j’ai pleuré de bonheur.»


Liudmyla Makei est une journaliste ukrainienne installée à Pristina depuis le 17 avril. Traduction et adaptation: Aylin Elci