Ukraine Stories: Pour Yuval Harari «l’Europe est la meilleure option de l’Ukraine»
Ukraine
Alors qu’il a déjà pris parti contre la Russie dans les premiers jours de la guerre, l’historien Yuval Noah Harari est revenu ce jeudi 30 juin sur les raisons incompréhensibles du conflit en Ukraine

Ce texte est issu du projet «Ukraine Stories» lancé par le partenaire anglophone du «Temps» Geneva Solutions, qui traite de la Genève internationale. Il s’agit de soutenir et de publier le travail de dizaines de journalistes ukrainiens et russes qui ont perdu leur poste ou leur média mais pas leur savoir-faire.
Une campagne de financement participatif a permis de couvrir les deux premiers mois du projet. Si vous souhaitez le soutenir pour la suite, contactez-nous par email à l'adresse info[at]genevasolutions.news.
«Pourquoi personne n’a-t-il cru que Poutine allait envahir l’Ukraine?». C’est la première question posée à l’historien-star Yuval Noah Harari en ce jeudi 30 juin.
«Cette [guerre] n’a aucun sens et c’est pourquoi il était difficile d’envisager que Poutine allait envahir l’Ukraine», a répondu l’historien lors d'une conférence intitulée «La guerre en Ukraine: retour à la loi de la jungle ou nouvelle étape dans l’évolution de la société?», animée par Viatcheslav Pokotylo, professeur au MIM-Kyiv, la meilleure école de commerce d’Ukraine.
Lors de la conférence en ligne, l’auteur de Sapiens et de Homo Deus a souligné l’importance de connaître l’histoire de son pays et la manière dont elle affecte les décisions actuelles et celles que l’Ukraine pourrait prendre par la suite.
Un fantasme
Pour lui, au XXIe siècle, le pouvoir ne peut plus être acquis par la conquête de terres voisines, contrairement à ce que tente de faire la Russie. Selon Harari, l’influence véritable repose aujourd’hui sur la connaissance. Ce conflit n’a économiquement ou stratégiquement aucun sens, d’autant que personne ne menace d’envahir géographiquement la Russie.
Il explique que Poutine est uniquement motivé par sa conviction que l’Ukraine n’est pas une véritable nation et que son peuple veut, en fait, rejoindre la Russie.
«Si vous voulez comprendre la motivation des gens, vous devez les écouter. Même s’ils semblent irrationnels, vous devez les prendre au sérieux. Et comme Poutine croit à un fantasme, affirme l’écrivain, il est difficile de le croire.»
Connaître le passé
L’auteur assure qu’il faut connaître l’Histoire pour comprendre le présent. Il rappelle que dans ses débuts, la propagande de l’Union soviétique était basée sur l’avenir du socialisme. Mais à partir des années 1960 et 1970, le régime comprend qu’il accumule un retard considérable sur l’Occident. La communication officielle se concentre alors sur l’une des plus grandes réalisations de l’Union soviétique: la Seconde Guerre mondiale.
«Si vous dites à tout le monde que le meilleur moment de votre vie a été la lutte contre les nazis, explique Harari, vous vous dites: ‘OK, on recommence!’. Si vous ne comprenez pas l’origine de la rhétorique de la Russie, vous avez l’impression qu’ils sont fous.»
L’auteur insiste sur le fait que, aussi douloureux soit-il, la connaissance du passé de votre nation est le meilleur moyen de prendre des décisions éclairées dans le présent - des décisions qui, ensuite, influenceront l’avenir de votre pays.
«Nous devons connaître le passé parce qu’il continue de nous contrôler de multiples manières, même si nous ne nous en rendons pas compte, dit Harari. L’objectif principal de l’étude de l’Histoire n’est pas tant d’apprendre du passé ou de s’en souvenir, mais de se libérer du passé. Or, pour s’en libérer, il faut le comprendre.»
Pour Yuval Harari, l’Ukraine a compris son passé et s’est rendu compte qu’elle avait le choix: «Pendant des siècles, l’Ukraine a été sous le joug des tsars et des communistes. Mais lorsque l’Union soviétique s’est effondrée et que l’occasion s’est présentée, elle a choisi la démocratie», observe-t-il avant d’ajouter, «et pas seulement une fois. Mais encore et encore.»
Un équilibre délicat
L’équilibre de la démocratie est délicat et nécessite de la modération, dit-il. Il cite l’exemple de la tourmente extrême qui a secoué l’Occident dans les années 1960 alors qu’en Union soviétique, tout était contrôlé. Or, vingt ans plus tard, l’URSS s’effondrait.
«L’agitation en démocratie est dangereuse, mais si elle est gérée correctement, la démocratie s’étend et devient plus juste et plus forte, affirme Harari. Dans l’histoire, il y a des gens qui vont jusqu’aux extrêmes. Nous sommes actuellement dans un autre cycle de ce type, et j’espère que la démocratie pourra trouver la voie du milieu.»
Aujourd’hui, il estime que la meilleure option pour des États aux ressources limitées est de rejoindre un ensemble de pays pour surmonter les difficultés du nouveau monde, telles que la reconversion face à l’automatisation. «Pour l’Ukraine, ce groupe est évidemment l’Union européenne», dit Harari. «J’espère qu’elle fera partie de l’UE, d’une manière ou d’une autre. C’est le meilleur pari pour l’avenir de l’Ukraine.»