Un cocktail mortel derrière la catastrophe de Gênes
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43 personnes ont perdu la vie dans l’effondrement d’un viaduc mardi à Gênes, dans le nord du pays. Le pont construit il y a plus de cinquante ans était au centre de nombreuses critiques

Des taches noires, jaunes ou orange perdues au milieu de gigantesques plaques de béton s’agitent sous une pluie torrentielle. Vues du ciel, les images sont aussi spectaculaires qu’effroyables. De près, les secours évoquent un véritable «enfer»: des voitures détruites, écrasées sous les débris, des camions retournés sur le côté, quand ils ne sont pas pris dans les eaux du fleuve Polcevera, ou encore ces faisceaux de lumière des phares de voiture sortant de l’obscurité des décombres. Pour le millier de sauveteurs, il s’agit de trouver au plus vite les possibles survivants. On est alors en début d’après-midi, aucun mort n’est encore confirmé, mais il semble inévitable que l’effondrement ait emporté des vies.
Aux alentours de midi, les témoins non loin du viaduc autoroutier du Polcevera entendent le vrombissement d’un coup de tonnerre. Ce pont sur l’A10, central pour Gênes car au cœur d’un nœud routier permettant de relier le proche port commercial, mais aussi la France et sa Côte d’Azur à l’ouest, Milan et la riche Lombardie à l’est, est en train de s’écrouler. Des dizaines de véhicules chutent de plusieurs dizaines de mètres. Une trentaine de voitures et trois poids lourds au moins sont emportés. Une vidéo amateur montre une camionnette miraculée, à l’arrêt au bord du précipice.
L'analyse d'un ingénieur: Catastrophe de Gênes: «Il y a eu une accumulation de causes»
Risque d'écroulement pour la partie restante
En contrebas, des routes, une voie ferrée, mais surtout des habitations. Deux personnes sont blessées lorsqu’un morceau de viaduc percute leur immeuble. Un incendie s’allume dans un autre édifice, asphyxiant une femme de 75 ans. Tous les bâtiments sont évacués. En fin de journée mardi, le risque que d’autres parties du viaduc s’écroulent était encore élevé.
L’ouvrage construit en 1967 et long de 1182 mètres, reposant sur trois piles de béton de 90 mètres de haut, est éventré sur 80 mètres. Cet effondrement est «pour nous quelque chose d’inattendu et d’imprévu par rapport à l’activité de contrôle faite sur le pont, affirme dans les médias italiens Stefano Marigliani, un responsable d’Autostrade per l’Italia, société gérant certains tronçons autoroutiers de la péninsule. Il n’y avait absolument aucun élément qui permettait de considérer ce pont comme dangereux.» Ce responsable pour les autoroutes génoises ajoute que des «interventions d’entretien ont été effectuées sur divers fronts», en particulier des opérations de consolidation de la dalle du pont et sur les barrières de sécurité. Ces dernières étaient sur le point d’être achevées.
Matière problématique
Si cette «œuvre» était pour Autostrade per l’Italia «sujette d’attentions et de soins constants», le viaduc était au centre de critiques depuis de nombreuses années. Les raisons du drame sont encore inconnues. Mardi, une seule explication revenait: la défaillance structurelle de l’un des piliers. Ce pont, trop rigide, est une «erreur d’ingénierie», lâche ainsi l’ingénieur Antonio Brencich, professeur à l’Université de Gênes.
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Le viaduc présente «divers aspects problématiques, outre l’augmentation des coûts de construction prévus», écrit-il dans un article publié en juillet 2016 sur Ingegneri.info. «J’ai dit, et les faits me donnent malheureusement raison, que ce type de pont est mal conçu et mal calculé et présente des problèmes évidents de vulnérabilité, a-t-il répété mardi lors d’une interview au site d’information en ligne L’Inkiesta. Après tout, s’il n’y en a que trois dans le monde, c’est qu’il y a bien une raison.»
Le problème c'est la matière choisie par l’ingénieur Riccardo Morandi, à l’origine de ce «pont de Brooklyn», surnom reçu pour sa vague ressemblance avec son grand frère new-yorkais. «Les tirants ont été construits en béton, et non en métal, explique à l’agence de presse Ansa l’architecte génois Diego Zoppi. Il y a cinquante ans, il y avait une confiance illimitée dans ce matériau, on ne prenait pas en compte le fait que le béton se dégrade puis s’effondre. Le ciment travaille en compression lorsque, pour la traction, il faut utiliser le métal.» Riccardo Morandi n’a alors pas pris en considération les vibrations du trafic et les microfissures qui en auraient découlé sur les tirants.
«Il n’est pas possible de mourir ainsi en 2018»
L’Italie est habituée aux routes et aux ponts croulants, même si c'est dans d’autres proportions. Les secours n’ont pas encore terminé de travailler que les polémiques sur la vétusté du réseau routier italien a déjà commencé. Matteo Salvini, ministre de l’Intérieur et chef de la Ligue, à l’extrême droite, a évoqué mardi les investissements dont les infrastructures italiennes ont besoin. Mais avant de développer la partie financière et urbaine, il compte trouver le nom des responsables de ce drame, «car ils doivent payer». «Il n’est pas possible de mourir ainsi en 2018», a encore affirmé le vice-président du Conseil.
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La même incompréhension s’entend dans la voix tremblante de Currado Cusano. A quelques secondes près, sa vie est sauve. Derrière lui, à l’arrêt dans sa voiture sur le viaduc, il voit des véhicules disparaître dans le vide. «Il s’agit du pont principal de Gênes, je le parcourais tous les jours, raconte-t-il en direct à RAI News, la télévision publique italienne. Je n’arrive pas à m’expliquer comment un morceau si important de la ville a pu s'effondrer.»
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Cet article a été mis a jour le 20 août 2018 (nombre de victimes).