Un comédien ukrainien à l'assaut de la présidence
Elections
Volodymyr Zelenskiy, 40 ans, star de la télévision, a annoncé le soir du réveillon, qu'il voulait devenir président. Une candidature pas si comique qu'elle en a l'air, révélant l'inconsistance de la classe politique de Kiev, et qui va donner quelques migraines aux deux favoris

Les bouteilles de mousseux étaient prêtes à sauter, lundi soir, peu avant les 12 coups de minuit, lorsque les Ukrainiens qui avaient gardé leur poste de télévision allumé ont eu droit à la surprise du chef. Traditionnellement, le président en exercice profite du passage à la nouvelle année pour adresser ses vœux à la nation. Seulement, cette année, la chaîne de télévision 1+1 a décidé de troller Petro Porochenko en le remplaçant à l’antenne par un message de son animateur vedette, Volodymyr Zelenskiy, qui a annoncé sa candidature à la présidentielle du 31 mars prochain.
L’affaire va au-delà d’une simple blague de Réveillon. Depuis plusieurs mois, toute l’Ukraine s’interrogeait sur les intentions de candidature d’une de ses stars de télé les plus populaires, alors que ce dernier n’a jamais fait de politique et évité toute déclaration publique. Dans un pays à la vie politique vivace et baroque, l’hypothèse Zelenskiy a enflé toute l’année, au point que dans les sondages d’opinion pour le premier tour de la présidentielle, l’humoriste est systématiquement classé deuxième ou troisième.
Le soir du 31, Volodymyr Zelenskiy a donné corps à cette rumeur. «Maintenant, nous avons une situation qui laisse aux Ukrainiens trois voies, a-t-il déclaré au petit écran: la première, vivez juste votre vie et restez dans le rang, pas de souci, c’est votre bon droit. La deuxième voie: préparez vos bagages et partez travailler dans un autre pays pour gagner de l’argent que vous expédierez à votre famille et vos proches. C’est aussi honorable. Il y a une troisième voie: essayez par vous-même de changer quelque chose dans le pays, j’ai choisi cette voie.»
Puis de conclure dans un sourire, «chers Ukrainiens, je vous promets d’aller à la présidence, allez, faisons-le tous ensemble…» L’annonce a circulé dans la nuit du Réveillon à la vitesse de l’éclair sur les réseaux. Et pour cause, Volodymyr Zelenskiy, âgé de 40 ans, est l’humoriste le plus célèbre du pays, producteur de Kvartal 95, plus qu’une émission d’humour culte, un studio de stand-up hérité des KVN soviétiques, acronyme russe pour les «clubs des gens drôles et inventifs», ces ligues d’humour ayant essaimé durant la perestroïka.
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Sur liste noire en Russie
En 2014, Volodymyr Zelenskiy soutient la révolution de Maïdan et alors que la guerre du Donbass débute, son studio Kvartal 95 fait un don de 2 millions de hryvnas (71 000 francs) à l’armée ukrainienne. Ce qui vaudra au trentenaire russophone originaire de Kryvyi Ryh, une métropole sidérurgique du sud-est ukrainien, d’être temporairement mis sur liste noire en Russie.
C’est en 2015 que sa popularité explose, lorsqu’il produit et joue le rôle principal de Serviteur du peuple, une série qui fait un énorme carton et conquiert même Netflix. La mise en abyme n’en est que plus profonde quand l’on sait que le pitch de la série est le suivant: un jeune professeur d’histoire de lycée, interprété par Volodymyr Zelenskiy, s’empare par surprise de la présidence ukrainienne, après qu’un de ses élèves a posté sur YouTube la vidéo d’une colère crue, qui pourrait être celle de bien des Ukrainiens aujourd’hui.
«Pour qui on va voter? Pour le moins pire et c’est la même histoire depuis vingt-cinq ans, hurle Vasyl Holoborodko, campé par Volodymyr Zelenskiy, dans le premier épisode. Rien ne va changer. Parce qu’on va tous encore voter pour des merdeux. On sait tous que lui c’est un connard, mais l’autre il est encore pire. Après, les connards entrent au gouvernement, ils pillent, racontent des conneries et n’arrêtent pas de magouiller. Si j’avais le job pendant une semaine, je leur montrerais: avoir juste un petit prof comme président.»
Dans la série, les élèves du professeur paient sa candidature par crowdfunding et les oligarques ne comprennent pas comment ils se sont fait avoir. Trois ans plus tard, Volodymyr Zelenskiy tente de mettre en adéquation la fiction et la réalité. La campagne s’annonce comme un duel violent entre deux poids lourds déjà vus, le président sortant Petro Porochenko et l’ancienne première ministre Ioulia Timochenko, devançant une trentaine de candidats.
Une candidature qui mélange les cartes
Volodymyr Zelenskiy, qui a avancé masqué, vient leur mordre les chevilles. Les trois derniers sondages de 2018 le placent deuxième et troisième, autour de 10%, alors que la favorite, Ioulia Timochenko, ne dépasse pas la barre des 15%. Plus frappant encore, dans une simulation de second tour organisée par le très sérieux Centre Razoumkov, l’humoriste l’emporte devant Porochenko et Timochenko, signe de la défiance vis-à-vis de la classe politique.
«Quarante-deux pour cent des Ukrainiens ne savent pas pour qui voter, notre société n’a jamais montré de soutien fort aux politiques, commente Viktor Zamiatine, politologue au Centre Razoumkov. L’Ukraine est une société pluraliste, mais perpétuellement déçue de la politique. C’est positif car notre pays n’a pas ce caractère patriarcal autoritaire, il y a de la vitalité, de la compétition, mais ça ne pose pas les bases pour la construction de projets politiques clairs, je ne vois pas un candidat capable de gagner la confiance de la majorité.»
La candidature de Zelenskiy contient sa part d'ombre: en l'occurrence celle du patron de la chaîne qui l'emploie 1+1, Ihor Kolomoiskiy. Brouillé avec Petro Porochenko et tombé en disgrâce en Ukraine, cet oligarque qui réside actuellement entre Genève et Israël semble décidé à tout faire pour torpiller les espoirs de sélection du président actuel.
Vers une autre candidature issue de la société civile?
Pour en savoir plus sur la capacité de Volodymyr Zelenskiy à s’imposer comme outsider dans une élection qui s’annonce brûlante, il faudra attendre l’annonce d’une autre candidature potentielle, qui pourrait intervenir cet hiver: celle du quadragénaire Svyatoslav Vakartchouk, la plus grande star de rock ukrainien, qui pourrait rallier les progressistes de Maïdan. Une autre candidature de la société civile, mais qui n’a pas encore pris corps.