Commentaire
Le scrutin de ce dimanche marquera la fin d’un cycle politique. Emmanuel Macron, favori des sondages, transformera le pays par sa jeunesse et sa capacité à recomposer le paysage politique. Marine Le Pen, si elle s’impose à l’arraché, ouvrira une phase nationaliste et protectionniste dont personne ne peut prédire l’issue

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Ce président-là ne sera, en aucun cas, un président «normal». Le chef de l’Etat que les Français désignent ce dimanche, à l’issue d’une folle campagne électorale de près d’un an (le premier candidat à se lancer dans l’arène, Jean-Luc Mélenchon, le fit en février 2016), aura déjà, par sa victoire ce soir, transformé la politique hexagonale.
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L’heure du choix entre deux France
Séismes en vue
Favori de tous les sondages, crédité de 61,5% des voix dans les plus favorables d’entre eux après le débat télévisé de mercredi, Emmanuel Macron est à lui seul un séisme. A 39 ans et quatre mois, ce haut fonctionnaire jamais élu, dont l’aventure politique a démarré voici tout juste un an avec le lancement de son mouvement En marche!, incarne une rupture générationnelle. Il sonne surtout l’échec des partis traditionnels de gouvernement, incapables de qualifier pour le second tour leurs candidats François Fillon (Les Républicains-droite) et Benoît Hamon (Parti socialiste). Sa promesse de gouverner au centre, et d’obtenir à l’issue des législatives des 11 et 18 juin une «majorité d’idées» qui pourrait transcender les grandes formations partisanes, annonce, si elle se matérialise, un «big bang» similaire à celui qui, en 1958, permit au général de Gaulle de créer la Ve République contre les partis, en profitant du chaos engendré par la guerre d’Algérie.
Donnée nettement perdante par les enquêtes d’opinion, mais forte au premier tour du meilleur résultat électoral jamais obtenu par l’extrême droite en France (21,30% des suffrages, soit 7,7 millions de voix), Marine Le Pen créerait, si elle est élue, une onde de choc européenne et mondiale. La Constitution française donne au président de la République des pouvoirs bien plus étendus que ceux, par exemple, du président américain. Toutes les manettes de l’Etat, ou presque, se retrouveraient donc dans les mains de la candidate du Front national – qui serait la première femme à s’installer à l’Elysée dans l’histoire de la République –, dont la prestation lors du débat télévisé a démontré la stratégie du mensonge et de la colère. Ses attaques répétées, sur le plateau de TF1 et France 2, ont peut-être parfois déstabilisé Emmanuel Macron, mais elles n’ont jamais permis à la fille de Jean-Marie Le Pen de se hisser au niveau présidentiel. Sa victoire serait dès lors plus qu’un séisme. Dans l’immédiat, une nuit de violences ne pourrait pas être exclue. Et la présence, lundi 8 mai sur les Champs-Elysées, de l’héritière lointaine d’un camp politique associé jadis à la collaboration avec l’occupant allemand pour commémorer la fin de la Seconde Guerre mondiale donnerait de la France une image dont on ne peut, aujourd’hui, prédire les conséquences. Avec, pour premier horizon, la promesse de collision immédiate avec l’Allemagne, à propos de l’Union européenne et de l’euro.
Dans les deux cas, la France politique sera donc transformée ce soir par ce chef de l’Etat élu pour cinq ans. Transformée parce que condamnée au changement, et obligée dans tous les cas de figure de tenir compte de deux réalités devenues incontournables.
Le risque d’un président par défaut
La première réalité, qui pourrait trouver son illustration dans un taux élevé d’abstention ou de vote blanc, est le risque que soit élu, ce dimanche, un président par défaut, ou pire, un président de toutes les colères. Emmanuel Macron, en effet, a rallié autour de lui une bonne partie de la classe politique française au nom du barrage anti-Le Pen. Mais du côté de la gauche radicale de Jean-Luc Mélenchon, le malaise est patent, entretenu par l’ambiguïté de son leader, qui ne s’est pas prononcé pour le vote Macron. Avec 24,01% au premier tour, le candidat d’En marche! réalise d’ailleurs l’un des plus médiocres performances électorales de la Ve République pour un finaliste (28,6% pour François Hollande et 27,1% pour Nicolas Sarkozy en 2012). Le chemin du rassemblement, même si Emmanuel Macron est très bien élu ce soir, sera ardu. La bataille des législatives sera âpre. La contestation de sa politique sociale-libérale (flexibilité du marché du travail, poursuite des efforts de compétitivité, acceptation des contraintes budgétaires européennes…) dans la rue s’annonce probable. Ce changement-là porte un nom: la France entrera avec Macron dans l’ère d’un réalisme économique négocié au cas par cas, porté par une nouvelle génération de ministres et d’entrepreneurs. Ce président «par défaut» ne pourra réussir que s’il parvient rapidement à créer l’adhésion qui lui manque encore aujourd’hui, au rendez-vous des urnes.
La seconde réalité est celle de la colère. Cette campagne présidentielle a démontré sans ambiguïté possible que deux France s’opposent. La France «mondialisée» incarnée par Emmanuel Macron est rejetée par une grande partie de l’électorat. Plus de 50% des suffrages, ne l’oublions pas, se sont portés au premier tour sur des candidats porteurs d’une forme de révolte sociale, de l’extrême droite à l’extrême gauche en passant par la droite souverainiste et par la gauche radicale mélenchoniste. Cette colère est un défi social, culturel, politique et bien sûr économique. Elle illustre aussi la fracture territoriale entre une France inquiète située, grosso modo, dans le nord, l’est et le sud du pays, et une France plus ouverte dans l’ouest. Cette colère est également attisée par la question de l’islam, du terrorisme et du bouleversement social dans les quartiers. La désertification des centres-villes de province est son carburant. Le sentiment d’inégalité face à la justice, perçue comme incapable de juguler l’islamisme radical, est réel. La demande d’autorité et de protection émane de ces villes, de ces campagnes, de ces quartiers. Toute une partie de la jeunesse adhère à cette colère. La plus grave des erreurs, pour le président français élu ce soir, serait d’ignorer cette fracture et de ne pas s’en préoccuper. Le mandat présidentiel de cinq ans est court.
A peine élu, puis installé à l’Elysée le 14 mai pour succéder à François Hollande (dont le mandat expire ce jour-là à minuit), le nouveau président entamera un compte à rebours pour réussir à changer la France sans la plonger dans le chaos.
Si Marine Le Pen sort victorieuse, rien ne sera plus comme avant. Et sur le plan international, l’interaction entre cette nouvelle présidente et ses homologues Donald Trump (qu’elle défend) et Vladimir Poutine (qui la soutient) constituera un énorme point d’interrogation géopolitique.
Si les sondages disent vrai et qu’Emmanuel Macron l’emporte, l’ampleur de sa victoire sera un premier indicateur. Plus que tous les autres, ce nouveau «Bonaparte» de la politique hexagonale a besoin d’une nette victoire qui conforte son assise et sa légitimité. Et d’un début de quinquennat convaincant pour éviter que la révolte ne revienne au galop dans les urnes d’abord aux législatives, puis lors des présidentielles de 2022. Sans que personne ne puisse en prédire l’issue.
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