Seda Basay-Yildiz a l’habitude des lettres de menace. Cette avocate de Francfort d’origine turque compte parmi ses clients des familles de victimes de la cellule terroriste d’extrême droite NSU (10 personnes assassinées, dont huit Turcs et un Grec entre 2000 et 2007), un islamiste considéré comme dangereux, Haykel S., et Sami A. – surnommé par la presse allemande «le garde du corps d’Oussama ben Laden» – au centre d’une procédure d’extradition contestée. Normalement, elle n’y prête pas attention. Jusqu’à un fax haineux reçu au début du mois d’août dernier, qui s’en prend directement à sa famille. «Truie turque pourrie, fous le camp tant que tu peux encore sortir vivante d’ici», intiment les signataires du message qui mentionne l’adresse privée de l’avocate ainsi que le nom de sa fille de 2 ans et parlent de l’«abattre». Le texte est signé «NSU-2.0». Seda Basay-Yildiz, inquiète pour la sécurité de sa famille, porte plainte.

Lire aussi: L’extrême droite secoue l'Allemagne

Des insignes nazis au commissariat

L’affaire est sur le point de devenir le plus gros scandale policier de la région. Après des mois de silence de la part des enquêteurs, Seda Basay-Yildiz vient d’apprendre que la trace du fax reçu en août menait vers… un commissariat de quartier de Francfort. Quatre policiers et une policière actifs sur un groupe d’extrême droite qui utilisait la messagerie WhatsApp et entre-temps suspendus seraient à l’origine des menaces.

La policière avait notamment cherché à se procurer – sans raison apparente – l’adresse pourtant classée secrète de l’avocate dans le système interne à la police qui répertorie l’ensemble de la population. Le bureau de la fonctionnaire, ainsi que celui de ses collègues, a été perquisitionné, permettant de saisir ordinateurs et téléphones portables. Les enquêteurs ont notamment trouvé la trace d’«insignes contraires à la Constitution», expression généralement utilisée pour qualifier l’usage de symboles nazis. Il est question de photos d’Adolf Hitler et de croix gammées.

Lire également: A Chemnitz, le volcan de l’extrême droite

Au cours du week-end, Seda Basay-Yldiz a dénoncé le secret entretenu autour du dossier, assurant avoir à plusieurs reprises contacté les enquêteurs pour tenter d’en savoir davantage sur leurs recherches, et n’avoir découvert les soupçons pesant sur le commissariat de Francfort que par la presse. Les responsables de l’enquête se défendent en avançant la nécessité de protéger l’enquête. «C’est un dossier extrêmement sensible, qui pourrait prendre de plus vastes proportions, impliquant davantage de personnes que les cinq policiers jusqu’à présent évoqués», explique une source anonyme au quotidien Frankfurter Allgemeine Zeitung.

Tollé général

L’affaire provoque un véritable tollé. «L’idéologie d’extrême droite n’a pas sa place dans la police, s’indigne la ministre sociale-démocrate de la Justice, Katarina Barley. Il ne doit pas y avoir le moindre doute que la police partage les valeurs de notre démocratie.» «C’est une affaire très grave», ajoute le ministre-président du Land de Hesse, Volker Bouffier, CDU, tandis que le ministre de l’Intérieur, Horst Seehofer, rappelle qu’«il ne doit pas y avoir le moindre doute» sur la moralité des policiers. Le syndicat de la police GdP se dit pour sa part «scandalisé» et demande «la suspension» des collègues impliqués. Cette affaire «menace la réputation de la police allemande».

Collusions de la police avec l’extrême droite

Le scandale de Francfort rappelle qu’à intervalles réguliers – l’été dernier encore, dans le cadre des évènements de Chemnitz – la police allemande est accusée de collusions avec l’extrême droite. Seda Basay-Yildiz, qui ne s’exprime plus sur l’affaire pour ne pas compromettre l’enquête, n’en serait guère surprise. Le procès de la cellule d’extrême droite NSU a laissé chez elle des traces, assurait-elle voici trois ans au quotidien Süddeutsche Zeitung. «Le sentiment (quand on a des origines étrangères) de ne pas faire vraiment partie de la société, quoi qu’on fasse et même lorsqu’on est intégré, est devenu plus fort. De même que le sentiment de ne pas être en sécurité, de ne pas pouvoir compter sur la police ou la justice. Essayez d’imaginer ce que ça veut dire pour quelqu’un qui a étudié le droit et défend l’Etat de droit!»

Les familles des victimes de la cellule terroriste NSU avaient toutes été systématiquement soupçonnées d’être impliquées dans les meurtres de leurs proches. A aucun moment, les enquêteurs – convaincus d’avoir affaire à un scénario de règlements de compte entre étrangers – n’avaient poursuivi la piste de l’extrême droite ni même fait le rapprochement entre les crimes commis aux quatre coins du pays.