Une manœuvre économique transformée en victoire politique
Italie
Le gouvernement populiste italien a fixé son déficit pour les trois prochaines années à 2,4% du PIB, contre l’avis de son ministre de l’Economie. Malgré le risque de creuser une dette parmi les plus élevées d’Europe, le Mouvement 5 étoiles et la Ligue au pouvoir exultent

«Nous allons de l’avant», quelle que soit la réaction de la Commission européenne après l’examen du projet de budget 2019. Le secrétaire fédéral de la Ligue et homme fort du gouvernement italien, Matteo Salvini, peine à cacher un sourire en coin lorsqu’il répond à la presse, vendredi matin. La bourse de Milan vient pourtant d’ouvrir dans le rouge, perdant plus 2%, annonçant une journée de chutes.
Le ministre de l’Intérieur et vice-président du Conseil est satisfait de la manœuvre économique de son gouvernement, approuvée la veille au soir. Ses promesses de campagne seront financées par un déficit se montant à 2,4% du PIB sur trois ans dès l’année prochaine. Celui-ci est ainsi trois fois plus élevé que celui de 0,8%, prévu par le gouvernement démocrate de Paolo Gentiloni, il y a un an.
La dette italienne inquiète l’Europe
L’opération a été menée contre l’avis du ministre de l’Economie, Giovanni Tria, un technicien sans étiquette imposé par le président de la République, Sergio Mattarella, lors de la formation de l’exécutif il y a quatre mois. Préconisant un déficit de 1,6% pour 2019, il a cédé après douze heures de réunions jeudi, réparties entre son ministère et le palais Chigi, siège de la présidence du Conseil des ministres, sous la pression de la Ligue et du Mouvement 5 étoiles (M5S), les deux partis au pouvoir réunis au sein d’une coalition antisystème. Il aurait décidé de ne pas démissionner après discussion avec le président, qui le souhaite toujours comme garant modéré au sein de l’exécutif populiste.
Mais sa parole en dehors des frontières italiennes risque de perdre désormais son autorité, après qu’il a tenté de persuader Bruxelles que le déficit transalpin ne dépasserait pas 2%. Si le chiffre de 2,4% respecte les critères de Maastricht fixant la limite à 3%, l’Union européenne s’inquiète tout de même de la dette publique italienne, à 131,2% du PIB en 2017, soit la plus élevée du continent après celle de la Grèce. La presse italienne craignait vendredi que cette dernière prévision ne la creuse davantage.
«Le pari hasardeux sur l’Italie et sur ses épargnants est une réalité, regrette La Repubblica. Le filet de sécurité qu’avait mis en place le ministre Giovanni Tria ces dernières semaines finit en lambeaux en une seule journée.» En attestent les résultats négatifs de la bourse milanaise et l’envol du spread jusqu’à 280 points. Il s’agit de l’écart très surveillé entre les taux d’emprunt italien et allemand. Il avait dépassé 300 points en mai en raison d’inquiétudes sur la politique à venir, lors de la formation chaotique de ce gouvernement.
Envol des taux d’emprunt
En fin de journée vendredi, le taux d’emprunt italien à dix ans évoluait autour de 3,136% contre 2,888% jeudi soir sur le marché secondaire, portant le spread à près de 267 points. Or, plus les taux grimpent, plus le coût de remboursement augmente pour l’Etat, ce qui réduit ses marges de manœuvre financières.
«Ces petits chiffres, comme on les qualifie avec mépris au sein de l’exécutif, prendront leur revanche, craint Il Corriere della Sera. Pas tant sur le Mouvement 5 étoiles et la Ligue, mais sur les familles et les entreprises italiennes.» Il s’agit d’une «stratégie de forcené, poursuit le quotidien. L’Italie s’expose à la spéculation financière et au déclassement de sa dette. Mais le soupçon, toutefois, est qu’aux membres du «gouvernement du changement» ces inconnues importent moins que les calculs électoraux.»
Le soutien de près de 60% des électeurs à ce gouvernement, selon un sondage Ixé daté du 22 septembre, permet en effet à Matteo Salvini de répondre avec suffisance devant ces risques, de promettre de travailler pour la «croissance du pays» et pour redonner «confiance et espoir» aux Italiens, parmi lesquels il jouit d’un taux de confiance de 46%. Cette popularité partagée par Luigi Di Maio permet à leur gouvernement de montrer qu’ils sont sur le point de réaliser leurs promesses de campagne, notamment un revenu minimum universel, une flat tax – un impôt à taux unique – ou encore une réforme des retraites.
Fête au palais Chigi
Avec cette opération économique, l’exécutif a remporté une victoire politique, mettant l’accent sur le succès du peuple sur l’establishment. Le M5S a baptisé ce projet de budget la «manœuvre du peuple», dans l’euphorie d’une fête jeudi soir devant la présidence du Conseil, sous le balcon du palais Chigi, où est sorti Luigi Di Maio hurlant de joie le poing en l’air, éclipsant le résident Giuseppe Conte, premier ministre.