Ursula von der Leyen, de justesse
Union européenne
L’Allemande sera la première femme présidente de la Commission européenne. Ainsi en ont décidé mardi soir à Strasbourg 383 eurodéputés, soit neuf de plus que la majorité nécessaire, fixée à 374. La confiance reçue pour cinq ans est plus que fragile

En acceptant mardi soir de faire de la ministre allemande de la Défense Ursula von der Leyen la première femme à la tête de la Commission européenne, les eurodéputés ont contribué à un moment historique pour l’Union européenne. Mais avec une faible majorité de 383 voix en sa faveur (le minimum requis était de 374), ils lui ont envoyé une mise en garde: elle n’est pas la candidate rassembleuse et séduisante que les parlementaires auraient souhaitée, elle qui a néanmoins promis à l’issue du vote de travailler à «unir l’Europe».
Avec ce score, l’Allemande de 60 ans fait beaucoup moins bien que Jean-Claude Juncker et ses 422 voix en 2014. Un échec? Une victoire étriquée dans tous les cas mais, «il y a deux semaines», elle n’aurait même «pas cru» qu’elle y arriverait, a-t-elle réagi.
Un hémicycle éclaté
Le scénario de son élection n’était pas écrit d’avance: face à un hémicycle bien plus éclaté qu’il y a cinq ans, avec des majorités plus fragiles et des attentes de changements plus exacerbées, Ursula von der Leyen devait aussi, en tant que candidate de dernière minute sortie du chapeau des chefs d’Etat et de gouvernement, affronter la défiance d’élus attachés à leur système de sélection des candidats à la Commission. Ce fameux système de têtes de listes qui aurait dû pour une grande partie des députés mettre à sa place l’Allemand du PPE Manfred Weber, le socialiste néerlandais Frans Timmermans ou la libérale danoise Margrethe Vestager.
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La nouvelle élue, qui devrait annoncer ce jeudi sa démission de ses fonctions nationales, n’a pas franchement réussi à capitaliser sur sa personne, à prouver ses qualités et à relever le niveau par rapport à la semaine dernière, lorsque sa première apparition devant les groupes politiques avait été jugée assez laborieuse.
Glaner des voix entre eurosceptiques et sociaux-démocrates
Les Verts et la gauche radicale avaient ainsi annoncé rapidement qu’ils voteraient contre elle. Et lors du vote à bulletin secret de mardi, les 74 et 41 élus respectifs de ces deux groupes se sont vraisemblablement rangés derrière cette consigne. C’est donc au sein des sociaux-démocrates et de leurs 153 élus qu’Ursula von der Leyen devait puiser des voix et elle n’y a visiblement pas fait le plein. Si elle a pu glaner les voix des socialistes italiens et espagnols, les socialistes français, belges mais aussi néerlandais ou bulgares ne l’ont pas soutenue.
Ursula von der Leyen pouvait aussi en théorie compter sur les voix des conservateurs de droite eurosceptiques, notamment le groupe CRE où siègent les élus polonais du parti PiS, mais ce résultat serré laisse plutôt penser que cela n’a pas été le cas. Plus à droite, la Ligue (italienne) passait ces derniers jours pour lui réserver des voix mais le Rassemblement national (français) et d’autres formations d’extrême droite lui ont en revanche refusé leurs suffrages.
Appels du pied envers les socialistes et les écologistes
Certaines défections sont-elles venues de son propre camp, le PPE, qui compte 182 élus? Le discours très social et écologiste de la candidate mardi matin en a peut-être refroidi quelques-uns. Car c’est la fibre sociale et humaniste que l’Allemande a voulu faire jouer dans son dernier sprint. Partisane du libre-échange mais raisonné, la ministre a dit vouloir une politique migratoire plus humaine avec des corridors humanitaires, sans qu’on sache si cela prendra la forme de visas humanitaires vers l’UE. Elle a aussi partagé son expérience personnelle, ayant accueilli il y a quatre ans dans sa maison et sa famille un réfugié syrien de 19 ans, aujourd’hui tout à fait intégré dans la société allemande. Une anecdote qui a pu laisser penser que l’Europe pourrait être avec elle davantage ouverte aux migrants et demandeurs d’asile, un repoussoir à droite.
Elle a aussi ostensiblement multiplié les appels du pied envers les socialistes et les écologistes, dont elle savait qu’ils seraient les plus difficiles à convaincre. Aux socialistes, elle a ainsi promis la défense des droits des femmes, l’inscription des violences faites aux femmes dans les crimes décrits par le traité européen; elle s’est engagée à se battre pour un salaire minimum européen et une assurance chômage; les jeunes, avec un budget triplé pour Erasmus, pourront aussi être plus mobiles.
De nombreuses promesses
Mais c’est surtout en direction des Verts qu’elle a envoyé le plus de signes, peut être trop tardivement pour qu’ils soient efficaces. C’est avec l’urgence climatique qu’elle avait entamé son discours mardi matin: une loi climat sera présentée dans les cent premiers jours de son mandat, qui débute au 1er novembre, visant notamment à faire de l’UE la première zone neutre au niveau carbone d’ici à 2050. Elle a assuré vouloir pousser les Etats membres à réduire de 50 à 55% les émissions de CO2 d’ici à 2030, et non de 40% comme prévu.
Ces gages n’ont visiblement pas suffi à faire le plein. Car pour plaire à la gauche, elle devait aussi convaincre sur l’Etat de droit, alors qu’il est de notoriété publique que les gouvernements polonais et hongrois ont soutenu sa nomination. Et sur cet aspect, l’Allemande est restée relativement «PPE», faisant le minimum en promettant un mécanisme de surveillance partout dans l’UE.
Quelle majorité a donc permis d’élire Ursula von der Leyen? Une majorité sans doute encore pro-européenne, même si l’analyse des votes le dira plus précisément dans les prochains jours. Mais avec une avance si faible de neuf voix, une autre question est permise: la nouvelle présidente de la Commission se sentira-t-elle liée à toutes les promesses faites?