Les deux fillettes sont âgées de 2 et 4 ans. Avant de partir rejoindre les rangs des djihadistes de l’EI, leur mère habitait le Bade-Wurtemberg, dans le sud-ouest du pays. La jeune femme est décédée lors de la bataille de Baghouz, dernier bastion de l’EI en Syrie. Les deux orphelines vivent depuis dans le camp d’Al-Hol, dans le nord-est du pays. L’ONU y a recensé 76 000 personnes, à 90% des femmes et des enfants, dont 2500 petits «étrangers» et apatrides. Tous vivent «dans des conditions épouvantables», selon la Croix-Rouge.

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L’Allemagne n’a jusqu’ici pas fait connaître sa position sur le retour de ses ressortissants emprisonnés en Irak, en Syrie ou dans les zones contrôlées par les Kurdes, malgré les pressions exercées par les Kurdes et les Irakiens, ainsi que par les Américains. Officiellement, la République fédérale invoque la fermeture de ses services consulaires en Syrie et sa non-reconnaissance des autorités kurdes (afin de ne pas dégrader les relations déjà tendues entre Berlin et Ankara) pour expliquer son incapacité à rapatrier qui que ce soit.

«L’Allemagne cherche à échapper à ses obligations consulaires», dénonce l’avocat Dirk Schoenian, chargé par leur famille de la défense des deux fillettes d’Al-Hol. Il vient de porter en urgence le dossier devant un tribunal, afin d’obliger le gouvernement à organiser le rapatriement des orphelines.

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Cascade de recours 

Berlin s’attend à une cascade de recours de ce type. Fin avril, plusieurs dizaines de personnes venues de tout le pays avaient manifesté devant le Ministère des affaires étrangères sous la pluie pour réclamer «le retour des enfants». «Nous voulons seulement les enfants, les enfants sont innocents», expliquait alors une grand-mère de 50 ans, en montrant la photo d’un petit-fils né en Syrie qu’elle n’a jamais serré dans ses bras. Son fils, le père de l’enfant, est mort au combat. Elle n’a aucune nouvelle de sa belle-fille.

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S’exprimant devant des députés du Bundestag en début de semaine, l’ancien patron des services de renseignement allemands, Hans-Georg Maassen, se disait «particulièrement préoccupé par les 290 enfants des femmes allemandes de l’EI, élevés au lavage de cerveau après leur retour, ce qui en fait un vrai risque pour la sécurité du pays». Maassen, qui appartient à l’aile droite de la CDU, avait dû quitter son poste après des déclarations contestées sur les réfugiés. Son successeur, Thomas Haldenwang, plus modéré, est tout aussi réservé sur le sort à réserver aux enfants du «califat». «Les enfants qui reviennent après des années passées avec leur famille dans des zones autrefois contrôlées par l’EI en Irak ou en Syrie nous inquiètent. La plupart ont subi ou vu des scènes de violence et vénèrent leurs pères morts au combat comme des héros.»

Le gouvernement allemand serait prêt à envisager le retour de certains enfants traumatisés, et trop jeunes pour avoir été endoctrinés. Une petite dizaine d’enfants de djihadistes allemands emprisonnés en Irak, pour certains condamnés à la peine de mort par la justice irakienne, ont été rapatriés en toute discrétion courant avril. Mais dans la plupart des cas, les difficultés semblent insurmontables. Des tests ADN seraient nécessaires pour ceux qui, nés sur place, n’ont pas de documents officiels. Et que faire de ceux dont les mères sont fanatisées?

Le cas d’Omaima A., ex-épouse de djihadiste rentrée en septembre 2016 par ses propres moyens avec ses enfants à Hambourg après avoir partagé la vie de hauts cadres de l’EI, montre les limites auxquelles se heurte la justice allemande face aux «revenantes». Selon la journaliste libanaise Jenan Moussa, qui a enquêté sur le cas d’Omaima A., la jeune femme n’a jusqu’à présent pas été inquiétée. Alors qu’elle diffusait de la propagande islamiste sur le Net pendant que ses époux (décédés l’un après l’autre) étaient au combat.