Plus de canons, moins d’éducation. L’arbitrage du budget russe 2018 ne laisse planer aucun doute sur les priorités du Kremlin, alors que l’économie russe peine à revenir sur les rails de la croissance. En dépit de la baisse très sensible du pouvoir d’achat des Russes, le budget fédéral triennal (2018 à 2020) a été adopté vendredi en troisième lecture par la chambre basse du parlement (Douma), le doigt sur la couture du pantalon.

29,5% du budget de l’Etat

Les dépenses militaires font un bond spectaculaire de 32% et représentent 2772 milliards de roubles (46,7 milliards de francs). C’est le second poste budgétaire après les dépenses sociales. Cumulées avec la sécurité intérieure (en hausse de 2%), les dépenses de sécurité représentent désormais 29,5% du budget de l’Etat, et c’est sans compter les dépenses classées secrètes, qui vont toutes dans la sécurité. Ni les obscurs 7,9% alloués aux «questions gouvernementales générales», qui incluent également des activités liées à la sécurité.

La Russie consacrait déjà 5,3% de son PIB aux dépenses militaires en 2016, selon le Sipri, une ONG suédoise étudiant les dépenses militaires globales. Soit nettement plus que les deux autres grandes puissances, les Etats-Unis (3,3%) et la Chine (1,9%). En termes absolus, ces deux derniers pays dépensent en revanche bien davantage, et la Russie se classe au 4e rang mondial derrière l’Arabie saoudite.

Situation économique en demi-teinte

Cet effort militaire russe, qui n’a cessé de s’amplifier depuis le début du troisième mandat de Vladimir Poutine en 2012, portera sur une économie moins solide que ne le suggèrent les dirigeants russes. Lors du vote vendredi, le président de la Douma, Viatcheslav Volodine, déclarait tabler sur «une croissance supérieure à 2%. Pour la première fois nous observons un budget de croissance: croissance des salaires, des avantages monétaires des soldats, de la réalisation des oukases du président.»

Or, les derniers résultats macroéconomiques publiés cette semaine décrivent une situation moins affriolante. L’automne a apporté une nouvelle la baisse des revenus des ménages: -1,3% depuis le début de l’année. Depuis 2013, les revenus des Russes ont baissé de 11%, d’après l’agence de notation Fitch. Le principal espoir du gouvernement reposait sur la hausse des investissements, mais eux aussi ralentissent, avec 3,4%, alors que le rythme de croissance était encore de 6,3% au printemps. En filigrane, l’objectif de croissance à 2% en 2017, claironné depuis des mois par les autorités, ne sera probablement pas atteint.

Dépenses sociales pour année électorale

Pour s’offrir de nouveaux canons, Vladimir Poutine a donc décidé de sabrer dans des postes budgétaires moins importants à ses yeux. Ils correspondent au développement du capital humain sur le long terme, soit le sport (-13%), la santé (-8%), la culture et l’éducation (tous deux en baisse de 1%). Et le budget logement/voirie s’effondre de 29%. «Année de l’écologie» oblige, le budget consacré à la protection de l’environnement est multiplié par 2,7. Mais l’écologie ne pèse que 0,5% du budget, au même niveau que la culture et le sport.

Pour faire passer la pilule, les dépenses sociales bondissent de 23%. Un effort typique d’année électorale consistant à revaloriser ponctuellement des allocations pour l’électorat dépendant le plus directement de l’Etat (retraités, militaires, fonctionnaires, enseignants).

Mercredi dernier, le président russe avait appelé à améliorer la capacité de mobilisation du pays devant les dirigeants de l’armée, du complexe militaro-industriel ainsi que plusieurs ministres et gouverneurs. Mais mobiliser l’argent public est plus simple que mobiliser les électeurs. Archifavori pour remporter un quatrième mandat à la tête du pays, Vladimir Poutine devrait annoncer sa candidature d’ici au 14 décembre prochain.