Russie
Lors de sa grande conférence de presse annuelle, le président russe, candidat à sa propre succession, s’est montré très incisif sur les thèmes de la politique étrangère et de la défense. Récit

Le président russe, Vladimir Poutine, a fait son entrée jeudi pour sa grande conférence de presse annuelle avec huit minutes de retard. Cet exercice, diffusé en direct sur trois chaînes télévisées et autant de radios, oppose le maître du Kremlin à un bon millier de journalistes agitant des pancartes parfois fantaisistes dans l’espoir d’améliorer leurs chances d’obtenir le micro. Vladimir Poutine est flanqué de son fidèle porte-parole Dmitri Peskov, qui a tout récemment déclaré qu’aucun autre candidat à la présidence ne dispose d’une «maturité» comparable, ni d’un tel «soutien populaire».
Le maître du Kremlin a tenu là sa treizième grande conférence de presse en dix-huit années au pouvoir, et certainement pas la dernière, puisqu’il s’apprête à gouverner le pays pour six ans supplémentaires, voire davantage. En voici le récit.
Début des questions
En toute logique, c’est sur ce thème que portent les premières questions: «Pourquoi vous lancez-vous de nouveau dans une campagne électorale, quelle sera votre mission?» et «Pourquoi n’y a-t-il toujours pas de numéro 2 et n’êtes-vous pas las?» La réponse est aussi convenue que possible: «La Russie doit se tendre vers le futur, et le système politique doit être souple.» Mais, alors que tout le monde l’attend sur ce point, Vladimir Poutine refuse de dévoiler son programme politique, notant juste qu’il est «pratiquement prêt». Seule information substantielle: il se présentera comme candidat sans étiquette, se détachant ainsi du parti au pouvoir Russie unie.
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Sur la tenue du scrutin, Poutine se dit favorable à la concurrence politique, tout en ajoutant que les opposants ne représentent pas de concurrence au pouvoir actuel «à cause d’une spécificité russe». Suit une boutade: «Ce n’est pas à moi de former un concurrent.» Sauf que son concurrent principal, Alexeï Navalny, est interdit de participation au scrutin pour une condamnation en justice considérée par la Cour européenne des droits de l’homme comme «politiquement motivée». Le blocage de la candidature de Navalny est soulevé par la journaliste Ksenia Sobtchak, qui est également candidate à la présidentielle. Elle fait remarquer qu’«être opposant en Russie, cela signifie qu’on va te tuer, te coller en prison ou quelque chose de ce genre […]. Pourquoi le pouvoir a-t-il si peur de la concurrence honnête?»
Le pouvoir ne doit pas ressembler à un type retirant paresseusement du chou de sa barbe. Nous ne voulons pas une seconde édition de l’Ukraine en Russie. Nous ne le voulons et ne le tolérerons pas
Réponse de Poutine. Sans prononcer le nom de Navalny – il ne le fait jamais – il le compare à l’ex-président géorgien Mikheil Saakachvili (qu’il déteste et auquel il a fait la guerre en 2008), affirmant qu’il souhaite «déstabiliser la situation dans le pays […]» et ajoute: «Je suis certain que la grande majorité des Russes ne le veulent pas.» Tonnant que le pouvoir ne craint personne, il lâche: «Le pouvoir ne doit pas ressembler à un type retirant paresseusement du chou de sa barbe. Nous ne voulons pas une seconde édition de l’Ukraine en Russie. Nous ne le voulons et ne le tolérerons pas.» Ce faisant, Poutine trahit la nature politique du blocage de la candidature de Navalny au scrutin, où la justice n’a été qu’un prétexte.
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Glisser sur les questions acerbes
Interpellant le président sur la sévérité de la justice envers les opposants, une journaliste cite l’exemple de gens emprisonnés en préventive pour avoir partagé des publications sur les réseaux sociaux, le cas du célèbre metteur en scène Kirill Serebrennikov, celui du frère d’Alexeï Navalny. Tandis que cette même justice accepte qu’Igor Setchine, le «Monsieur énergie» du président, ignore plusieurs convocations au tribunal et que l’influent politicien Andreï Tourtchak, commanditaire présumé d’une agression contre un journaliste, n’a jamais été interrogé. Vladimir Poutine dit refuser qu’il puisse exister «deux poids, deux mesures». En ajoutant: «Concernant le fait que certains sont emprisonnés, vous considérez que c’est injuste, les enquêteurs pensent le contraire.»
Cet échange est typique des conférences de presse du président russe. Vladimir Poutine «glisse» sur les questions acerbes sans vraiment y répondre.
L’armée russe ne se trouve pas dans le Donbass. Il existe en revanche des formations policières et militaires capables de repousser n’importe quelle offensive massive contre le Donbass
Dans la même veine, un journaliste demande au président qui est responsable de la nomination de Grigory Rodchenkov à la tête de l’agence russe antidopage, alors que ce dernier était déjà mouillé dans une affaire de dopage. Exilé depuis aux Etats-Unis, Rodchenkov a dévoilé l’ampleur du dopage chez les athlètes russes. Vladimir Poutine trouve «étrange que [Rodchenkov] ait traîné toute cette merde du Canada aux Etats-Unis et qu’on l’ait laissé passer». Poutine admet savoir qui a nommé Rodchenkov mais a refusé d’identifier cette personne: «A quoi bon maintenant?» Faisant allusion à Rodchenkov, il a déclaré qu’«il ne faut pas travailler avec des gens qui ont commis une tentative de suicide». Puis insinue qu’il est un agent au service des Américains et que ces derniers le droguent.
Le dossier ukrainien
L’essentiel des questions porte sur la politique sociale. Le ronronnement présidentiel devient plus émotionnel lorsque sont abordés les thèmes de la politique étrangère et de la défense. Interrogé sur l’augmentation continue des dépenses de sécurité, qui représentent près de 30% des dépenses globales du budget, Poutine répond sèchement: «Et s’ils viennent, assassinent et violent?»… mais sans préciser l’identité de ces effrayants agresseurs potentiels. Il s’insurge contre ceux qui placent la Russie sur le même rang que la Corée du Nord ou l’Iran. Il accuse les Etats-Unis d’être responsables du développement d’un programme nucléaire de la Corée du Nord par leurs «provocations» et leurs «conditions».
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Enfin arrive le thème le plus sensible. Poutine explique longuement que les Ukrainiens sont en fait des Russes, un discours appuyé par de nombreux applaudissements de journalistes proches du pouvoir, qui dominent l’assemblée. Signe que le pouvoir peine toujours à digérer que l’Ukraine se soit séparée de la Russie. Interpellé sur la présence de soldats bouriates (ethnie vivant à l’est du lac Baïkal) dans les régions séparatistes pro-russes d’Ukraine, Vladimir Poutine réaffirme que «l’armée russe ne se trouve pas dans le Donbass. Il existe en revanche des formations policières et militaires capables de repousser n’importe quelle offensive massive contre le Donbass.» A bon entendeur…