Vladimir Poutine en «tsar» à Versailles: la visite qu’Emmanuel Macron ne doit pas rater
Diplomatie
Le président russe sera reçu ce lundi par Emmanuel Macron au Trianon de Versailles, où débute une grande exposition consacrée au tsar Pierre le Grand. Une première rencontre pour aborder de sérieux contentieux

Emmanuel Macron l’a promis: il sera un président «jupitérien». Entendez: un chef de l’Etat préoccupé des questions régaliennes essentielles, centré sur la défense des intérêts de la France dans le monde et sur les grandes réformes qu’il entend promouvoir pour transformer le pays, à commencer par une flexibilité accrue du marché du travail.
Quid, de cette approche «jupitérienne» – le dieu romain était maître du ciel et de la foudre – face à un Vladimir Poutine passé maître dans l’art de jouer les présidents surpuissants à la tête d’une Russie engagée dans le conflit en Ukraine, et frappé de sanctions économiques internationales depuis son annexion de la Crimée, en mars 2014? Un début de réponse sera connu ce lundi vers 15h, lorsque les deux chefs de l’Etat interviendront côte à côte devant la presse dans le cadre somptueux du château royal de Versailles. Objet officiel: l’inauguration de l’exposition «Pierre le Grand, un tsar en France, 1717» au Grand Trianon, pour commémorer la visite au tout jeune roi Louis XV du Tsar fondateur de Saint-Pétersbourg, alors cruellement à la recherche d’alliés. Objet politique: trouver, trois cent ans après l'ouverture des relations diplomatiques entre les deux pays, une issue aux profonds contentieux qui minent aujourd’hui les relations entre l’actuel maître du Kremlin et le nouveau locataire de l’Elysée. Une conférence de presse est prévue pour 15h30.
Un défi Poutine plus compliqué que le défi Trump
Pour le jeune président français (39 ans contre 64 pour son homologue russe), le défi Poutine est bien plus compliqué que le défi Trump. Au sommet de l’OTAN à Bruxelles le 25 mai, puis au G7 de Taormina en Sicile les 26 et 27 mai, Emmanuel Macron a plutôt bien esquivé, en élégante fermeté, les attaques de son homologue américain qui n’a toutefois fait aucune concession sur l’accord de Paris sur le climat de décembre 2015, qu’il menace de remettre en cause. Sa poignée de main solide face à l’ex-magnat de l’immobilier, son souci de ne pas le confronter d’emblée, ont abouti à une sorte de match nul diplomatique qui contraste avec l’opposition désormais frontale entre le locataire de la Maison-Blanche et la chancelière allemande Angela Merkel, bien plus critique qu’Emmanuel Macron.
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L’entourage président français a même fait savoir que Donald Trump aurait, lors du déjeuner en tête à tête de jeudi à l’ambassade américaine à Bruxelles, accueilli le président français d’un «You were my guy!» (Vous étiez mon candidat) pour instaurer un début de confiance.
Avec Vladimir Poutine, la différence est beaucoup plus criante. En lieu et place de l’ex-promoteur immobilier américain obsédé par les questions d’argent et par la défense des contribuables des Etats-Unis, Emmanuel Macron va trouver à Versailles le pur produit d’un système que sa génération n’a pas connu. Né en 1977, le président français n’avait pas encore 12 ans lors de la chute du mur de Berlin le 9 novembre 1989. Il n’avait pas encore 14 ans lors de la tentative de putsch militaire d’août 1991 contre Mikhaïl Gorbatchev à Moscou, qui permit à Boris Eltsine de s’imposer. Le profil de Vladimir Poutine, ancien officier des services secrets soviétiques, est aussi à l’opposé du passé de Macron, premier chef des armées à n’avoir pas fait de service militaire obligatoire. Sur le papier, la différence de style et d’expérience est donc colossale. Pas sûr que Jupiter s’y retrouve…
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Plusieurs points politiques sensibles
Le contentieux le plus lourd, toutefois, est politique. Vladimir Poutine a perdu l’élection présidentielle française. Les deux candidats dont il était le plus proche, François Fillon (droite) et Marine Le Pen (Front national) ont mordu la poussière alors que le président russe ne leur avait pas ménagé son soutien. Ce dernier avait notamment reçu la candidate d’extrême droite au Kremlin le 24 mars 2017, soit pile un mois avant le premier tour de la présidentielle. Et l’on sait que les circuits de financement du FN, en grande difficulté sur ce plan, sont souvent passés par Moscou et par des banques russes adoubées par le pouvoir.
Plus grave encore: les accusations portées contre des «hackers» russes à propos des «MacronLeaks», cette fuite massive de documents de la campagne d’Emmanuel Macron à la veille du second tour. Là, tout est spéculatif. Rien ne prouve jusque-là que l’appareil d’Etat russe ait été impliqué. Mais ces «leaks» résument bien la nouvelle cyberguerre froide qui s’est installée entre la Russie et l’Occident. Nous devrons travailler avec les Russes de Poutine, «sans oublier qui ils sont, ce qu’ils font, et la nature de leur régime», avait déclaré le candidat Macron avant son élection. Il doit maintenant, à Versailles, passer à l’acte.
Deux motifs de suspense
Dernier élément de suspense pour cette rencontre sous les ors du château construit par Louis XIV, le roi le plus «jupitérien» de l’histoire de France: les toasts respectifs que porteront les deux présidents durant leur déjeuner au Pavillon Dufour, le restaurant étoilé d’Alain Ducasse à Versailles. Au G8 de Heiligendamm en mai 2007, quelques jours après son élection, Nicolas Sarkozy était sorti groggy, chancelant, de sa première rencontre avec Vladimir Poutine. Sa conférence de presse qui avait suivi avait fait rire le monde entier et son comportement avait vite été attribué à la «vodka-KGB» servie par Poutine pour fêter son arrivée à l’Elysée.
D’autres sources ont ensuite expliqué que le président français avait été littéralement mis sous pression, insulté et menacé par un Poutine furieux de l’extension de l’OTAN à l’Est. L’ombre de cette première rencontre avait ensuite toujours pesé sur Nicolas Sarkozy qui, après son intervention durant la guerre en Géorgie en 2008 pour faire cesser les combats, s’était rapproché de Moscou au point d’accepter de vendre deux navires de guerre Mistral à la marine russe.
Deux commandes annulées
On connaît la suite: en raison du conflit ukrainien, la commande de ces deux navires très sophistiqués avait été annulée par François Hollande et la Russie remboursée de son acompte de plus de 700 millions d’euros (ils ont depuis été revendus à l’Egypte). Remettre à flot la relation franco-russe, à ce point déstabilisée, nécessitera une intervention plus que «jupitérienne» du président français qui, vu son inexpérience diplomatique, n’a pas intérêt à se faire d’emblée des ennemis sur la scène internationale.
En 1717, Pierre le Grand était arrivé à Versailles en vainqueur diplomatique, après avoir été boudé une première fois par Louis XIV en 1698. Cette fois Vladimir Poutine peut se satisfaire d’être le premier chef d’une grande puissance reçu au même endroit par Emmanuel Macron.
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