Vo’ Euganeo n’enregistre plus de nouveaux cas de contagion de coronavirus depuis désormais cinq jours. Or il n’y a aucune allégresse dans la voix du maire de ce petit village vénitien lorsqu’il l’annonce au Temps, mercredi en fin de journée. Au téléphone, Giuliano Martini semble n’avoir plus aucune énergie. «Attendez un instant, j’enlève mon masque», lâche-t-il en soupirant. La première victime italienne du virus était l’un de ses concitoyens, le 21 février, deux jours avant le confinement total de sa cité. Mais la situation aujourd’hui laisse espérer à une Italie mise en quarantaine depuis dix jours d’être sur la bonne voie.

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Mercredi, le maire ne réussit pourtant pas encore à être optimiste. Il se trouve dans l’après-midi sur la place du village pour accueillir le cercueil du troisième habitant de Vo’ emporté par la maladie. Le corps arrive de Padoue, à une trentaine de kilomètres à l’ouest. Giuliano Martini est seulement accompagné par des membres du corps alpin pour une cérémonie aussi brève que discrète, avant que la bière ne soit portée dans le cimetière. Les personnes présentes restent à au moins 3 mètres les unes des autres. Le maire nous accorde un entretien quelques minutes plus tard, de retour dans son bureau, durant l’un de ses rares moments de repos.

Une tendance positive 

Après un bref passage à la mairie à 8h le matin pour vérifier les derniers chiffres, il s’entretient avec les forces de l’ordre. Il leur demande de vérifier si les six personnes encore contaminées sont bien en train de respecter la quarantaine imposée. Fin février, Vo’ Euganeo recensait 66 habitants infectés. La tendance est donc positive. Et le maire veut s’assurer personnellement qu’elle continue sur la même voie. «Je tourne dans le village pour être certain qu’il n’y ait pas de rassemblements», assure-t-il.

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Il passe le reste de son temps dans sa pharmacie, l’un des rares commerces pouvant rester ouverts. Il se trouve à seulement une centaine de mètres de l’auberge Al Sole (Au soleil), où les retraités du village se retrouvaient pour jouer aux cartes. Comme Adriano Trevisan, première victime italienne du coronavirus à 78 ans, le 21 février. Sa disparition puis les chiffres croissant de manière exponentielle en Lombardie voisine ont poussé les autorités à confiner le village vénitien et dix autres dans le sud de la Lombardie. Rome prenait alors ses premières mesures radicales dans ces deux foyers épidémiques, dans l’espoir de freiner l’épidémie.

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L’une des premières cités italiennes à avoir été infectée est aujourd’hui la commune «la plus saine d’Italie», se réjouit un peu plus de trois semaines plus tard le président de la Vénétie, Luca Zaia, lors d’une conférence de presse lundi. Le gouverneur avait décidé de dépister tous les villageois deux fois, au début et à la fin de ce premier confinement. Certain de la réussite de la méthode, il veut maintenant l’appliquer à toute la région. «Le premier de ces screenings a duré quatre jours, raconte Giuliano Martini. Le second, trois autres jours.» Ces journées éprouvent d’autant plus les habitants d’un village fermé par dix postes de contrôle de police. «C’était comme être en guerre, se rappelle encore le maire, avec la présence de l’armée aussi et nous qui devions obéir à des ordres arrivant d’en haut.»

Des mesures radicales

Ces mesures radicales ont permis d’arrêter l’épidémie, le premier officier municipal en est convaincu. «Mais nous n’aurions plus la force de faire un troisième contrôle», regrette-t-il. Il compte donc sur le reste des Italiens, notamment en Vénétie, pour respecter les mesures de confinement afin de ne pas effacer les efforts déjà réalisés par sa communauté. Depuis le 11 mars, 1,25 million de personnes et 415 000 commerces ont été contrôlés, selon les chiffres du Ministère de l’intérieur rapportés par Il Corriere della Sera mercredi. 35000 personnes ont été dénoncées.

Les quelque 3300 habitants de Vo’ Euganeo «sont sans doute plus responsables, promet leur maire. Mais parce qu’ils ont peur.» Ils regardent l’état de l’hôpital de Bergame, en Lombardie voisine, où les médecins doivent choisir qui soigner, faute de places en thérapie intensive. Et, surtout, parce qu’ils ont vécu une quarantaine stricte deux semaines avant que le reste de leurs compatriotes ne voient leur liberté de mouvements limitée. «Tous, surtout les jeunes, doivent bien comprendre qu’ils risquent d’être directement responsables de la mort de leurs propres parents et grands-parents, tonne Giuliano Martini. Vous pensez être trop serrés chez vous en quarantaine? Imaginez alors combien pourrait l’être un proche dans un cercueil.»

Le cas Vo’ Euganeo est aujourd’hui considéré comme un modèle dans les discours publics. Il démontre aussi combien la situation est grave. Entre 50 et 75% des personnes infectées dans le village n’ont montré aucun symptôme, selon une étude de l’Université de Florence sur les 3300 habitants vénitiens. «L’isolement de ces personnes est essentiel pour réussir à contrôler la diffusion du virus, détaille le professeur Sergio Romagnani. Car ils sont une formidable source de contagion.»