Puis Moscou l’annonçait officiellement: les «dirigeants» des régions séparatistes demandaient «l’aide» du grand frère russe. Les dés étaient jetés. Et pipés: de l’autre côté de l’Atlantique, le Pentagone avait rendu publique, une fois de plus, une information ultrasensible, de celles qui sont réservées d’ordinaire aux seuls militaires et services de renseignement: 80% des troupes russes étaient prêtes à partir au combat. L’assaut était imminent.
C’est à ce moment de la nuit que le président Volodymyr Zelensky entre en scène. Entre en scène? Cet ancien comédien de 44 ans, qui s’est progressivement révélé en chef d’Etat durant ces dernières semaines de crise, joue aujourd’hui l’un des plus grands rôles de sa vie, debout, devant la carte de l’Ukraine, ce pays dont Vladimir Poutine va jusqu’à nier la réalité, le considérant comme une «invention» de la Russie communiste.
«Le résultat a été le silence»
«Aujourd’hui, j’ai commencé une conversation avec le président de la Fédération de Russie, commence-t-il. Le résultat a été le silence.» Vladimir Poutine n’a pas décroché le téléphone. Au cours de son intervention, qui durera un peu plus de dix minutes, l’Ukrainien prendra l’exact contre-pied du Russe. Les deux premières minutes en langue ukrainienne, puis le reste en russe: tandis que Vladimir Poutine semblait vouloir asséner une leçon ex cathedra sur l’histoire et la géopolitique, Zelensky s’adresse directement à la population russe.
«Ils vous disent que les flammes vont libérer le peuple d’Ukraine, mais le peuple d’Ukraine est libre. Les Ukrainiens se souviennent de leur passé et sont en train de construire leur avenir, affirme-t-il. L’Ukraine qui vous est montrée sur les écrans de télévision et l’Ukraine réelle sont deux pays totalement différents. Le nôtre est réel.»
«Pour quoi vous battez-vous?»
Le président rappelle qu’il a parcouru le Donbass du temps où il était jeune humoriste sur les scènes locales. Il énumère les lieux, les connaissances, les liens de famille qu’il a sur place: «Je parle russe mais personne en Russie ne comprend ce que sont ces lieux, ces rues, ces événements. Ils sont notre terre et notre histoire. Pour quoi vous battez-vous? Et avec qui?» Puis, plus direct encore: «Ils vous ont dit que j’avais ordonné d’attaquer le Donbass, d’ouvrir le feu et de bombarder de manière indiscriminée. Tirer sur qui? Bombarder qui?»
Semblant de plus en plus clairement submergé par l’émotion, Zelensky évoque les horreurs de la guerre, la douleur, les dizaines de milliers de morts possibles. «Ils vous disent que l’Ukraine pourrait être une menace pour la Russie. Ce n’est jamais arrivé dans le passé, et cela n’arrivera pas dans le futur.»
«Ils doivent voir la réalité»
Surtout, le président ukrainien semble compter sur le fait que, grâce aux réseaux sociaux, sa prestation puisse abondamment circuler en Russie. «Je sais que la TV russe ne diffusera pas mon discours. Mais les citoyens russes doivent le voir. Ils doivent voir la réalité. La vérité, c’est que vous devez arrêter avant qu’il ne soit trop tard.» Puis: «Si les dirigeants de la Russie ne veulent pas, au nom de la recherche de la paix, s’asseoir à table avec nous, peut-être qu’ils le feront avec vous.»
Le rideau est tiré. Ce discours aura-t-il la moindre répercussion en Russie, tandis que le vrombissement de la guerre se précise? Les Ukrainiens se préparent à une nuit qui sera encore longue. Place à la diffusion d’informations plus pratiques et immédiates. Dans une capitale tétanisée, le maire de Kiev rappelle que 5000 abris anti-bombes ont été installés dans la ville, munis de générateurs d’électricité et de fourniture en eau potable.