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La secrétaire d’Etat adjointe américaine Wendy Sherman et le ministre adjoint des Affaires étrangères russe Sergueï Ryabkov se rencontrent jeudi à la Mission de la Fédération de Russie pour poursuivre le dialogue stratégique sur les armes nucléaires, mais aussi la cybersécurité et l’espace. Ils mettent en œuvre une promesse faite à Genève par Vladimir Poutine et Joe Biden

Les numéros deux de la diplomatie russe et américaine vont se parler ce jeudi en personne à la Mission de la Fédération de Russie à Genève. Sergueï Ryabkov et Wendy Sherman mettent en œuvre l’une des promesses faites par les présidents Joe Biden et Vladimir Poutine à Genève lors de leur sommet du 16 juin à la Villa La Grange au bout du Léman. Objet des échanges: la restauration d’un dialogue stratégique entre les deux puissances. Un impératif au vu des risques sécuritaires considérables entre Moscou et Washington du fait de la mauvaise relation qu’ils entretiennent. Les deux diplomates sont familiers de Genève. Wendy Sherman, pour sa part, y est venue régulièrement pour négocier avec John Kerry l’accord sur le nucléaire iranien.
Deuxième rencontre
Le moment est important. Ces dernières années, la relation entre Moscou et Washington s’est fortement dégradée et le dialogue aussi. Cette reprise de langue entre les deux puissances qui possèdent à elles seules plus de 90% des arsenaux nucléaires mondiaux est essentielle. Une première rencontre a eu lieu le 28 juillet dernier à la Mission des Etats-Unis. Elle a surtout servi à briser la glace et à voir ce que les parties étaient prêtes à négocier. Mais ce jeudi, les échanges prennent une nouvelle dimension avec la numéro deux du Département d’Etat américain et le numéro deux du Ministère russe des affaires étrangères.
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Le dialogue à la Mission de Russie ne va toutefois pas se limiter à la question des armes nucléaires. Chercheur au Centre de politique de sécurité (GCSP), Marc Finaud le relève: «On a la confirmation que les échanges vont être beaucoup plus larges et qu’ils vont aborder la cybersécurité et l’espace. C’est un peu un retour à la dynamique des années 1990 quand il y avait entre Moscou et Washington les négociations sur les armes nucléaires et l’espace. Il y a de fait un lien très étroit entre la stabilité stratégique, qui est la capacité de riposte à une première frappe, et les questions de cybersécurité et d’espace.» Les propos de Marc Finaud ont été en partie confirmée par Bonnie Jenkins, sous-secrétaire d'Etat pour le contrôle des armements et la sécurité internationale. Elle était l'invitée du GCSP mercredi: «Nous avons eu une première réunion en juillet où nous avons fait des progrès. Cette deuxième réunion permettra de voir les étapes pour la suite. Et le dialogue va effectivement se concentrer non seulement sur les armes nucléaires, mais aussi sur les nouvelles armes technologiques.»
La cybersécurité est devenue d’ailleurs une pomme de discorde majeure entre Moscou et Washington après des interférences russes dans les présidentielles de 2016, attestées par le rapport du procureur spécial Robert Mueller, et de 2020. La reprise du dialogue est une manière d’éviter un dérapage aux conséquences incontrôlables.
Les armes de la négociation
A Genève, jusqu’où iront les deux puissances? C’est la grande question. «L’étendue de l’inclusion de tous les systèmes d’armement sera importante, poursuit Marc Finaud. Pour Moscou, les systèmes de défense antimissile américains doivent impérativement être mis sur la table de négociation. L’inquiétude russe est aussi liée aux armes stratégiques non nucléaires développées dans le cadre du programme américain de frappe planétaire rapide. Ce sont des missiles de très longue portée, pas nécessairement très rapides, mais d’une très grande précision.» Washington pourrait se montrer plus souple en dépit d’un Congrès très axé sur les boucliers antimissiles.
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De son côté, la Russie a elle aussi développé de nouvelles armes: les missiles hypersoniques avec planeurs, les drones sous-marins nucléaires, les missiles de croisière à propulsion nucléaire qui peuvent voler 24h/24 en orbite. Elle serait disposée à les intégrer dans les pourparlers avec les Américains. «Plus on mettra de choses sur la table, plus il sera possible d’opérer des marchandages», ajoute Marc Finaud. Des groupes de travail devraient être mis en place entre les deux délégations.
Entre les Etats-Unis et la Russie, les mesures restrictives en termes d’armements se limitent de fait surtout à ce que prévoit le nouveau traité Start de réduction des armes stratégiques prolongé en début d’année jusqu’en 2026. Le traité limite à 1550 le nombre de têtes nucléaires et à 700 le nombre de vecteurs nucléaires pouvant être déployés. Mais aucune limite de ce genre n'est prévue dans le cyberespace et l’espace, deux domaines de plus en plus cruciaux.
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Ancien haut diplomate américain et ex-professeur au War College de Washington, Michael Parmly juge ce dialogue russo-américain très important. «C’est un retour à une longue tradition diplomatique entre les deux pays qui a débuté au début des années 1960. De nombreux experts américains parlent le russe et d’experts russes l’anglais. L’essentiel est qu’on se parle civilement. Cela rappelle ces élus du Congrès comme Richard Lugar qui négociaient régulièrement avec les Russes.» Et Michael Parmly de conclure: «Même si Joe Biden a parlé pendant plus d’une heure au président chinois Xi Jinping, je souhaiterais que Washington établisse également un tel dialogue avec Pékin.»