Julian Assange est de nouveau sur la sellette. Ce lundi à Londres reprennent les audiences de la Cour de justice de Woolwich, au sud de Londres, avec le fondateur de WikiLeaks. L’Australien, qui croupit dans la prison de Belmarsh depuis l’an dernier, est menacé d’extradition vers les Etats-Unis, qui l’accusent d’avoir violé l’Espionage Act pour avoir diffusé plus de 700 000 documents classifiés sur les activités militaires et diplomatiques américaines. Ce rendez-vous devant la justice britannique promet d’être chargé en émotions tant le personnage suscite de sentiments contrastés. Pour les uns, il est le héraut de la liberté d’expression qui a osé défier l’impérialisme américain. Pour les autres, il est un opportuniste qui n’a pas pour premier objectif le respect des principes démocratiques.

Santé déclinante

John Shipton, le père de Julian Assange, était à Genève voici quelques jours. Il a confié au Temps ses espoirs. «Le canton de Genève est disposé à accorder à mon fils un visa humanitaire. Mais pour l’heure, le dossier doit être traité au niveau de la Confédération. C’est un pas en avant important. Mais je pense qu’il est prématuré de négocier une solution diplomatique pour mon fils.» Député vert au Grand Conseil genevois, Jean Rossiaud suit l’affaire de très près, s’étant rendu à Londres en février pour le début du procès en extradition aux côtés de John Shipton. Il a été positivement surpris de voir que le parlement genevois a adopté à une écrasante majorité, de l’extrême gauche à l’extrême droite, une résolution appelant à l’octroi d’un visa humanitaire. Le Conseil d’Etat y a répondu favorablement. «Julian Assange est le bouc émissaire de la raison d’Etat, c’est un prisonnier politique», avance Jean Rossiaud.

Lire: Julian Assange face à son extradition

Vu l’état de santé du détenu, le député et ex-délégué du CICR verrait bien le fondateur de WikiLeaks être accueilli aux Hôpitaux universitaires de Genève pour se refaire une santé. Les Genevois ne sont toutefois pas les seuls à se mobiliser. En France, l’association Robin des lois exhorte le gouvernement à accorder l’asile politique à l’Australien de 49 ans. Le ministre français de la Justice, Eric Dupond-Moretti, demandait d’ailleurs, quand il était encore l’avocat d’Assange, que son pays prenne une telle mesure.

John Shipton rappelle que son fils est détenu à Belmarsh, une prison de haute sécurité pour les criminels dangereux. «En raison du Covid-19, il passe 23 heures par jour dans sa cellule. Il m’a appelé en août, espérant que je revienne au Royaume-Uni. Je ne l’ai pas vu depuis cinq mois. Il n’a vu personne à l’exception de son psychiatre. On lui a donné un ordinateur, mais le clavier a été rendu inutilisable avec de la colle. Sa santé physique et mentale ne cesse de se détériorer.»

Lire aussi: Julian Assange, pris en étau entre liberté de la presse et appropriation démocratique des outils numériques

«175 ans de prison? C’est grotesque»

Le père de Julian Assange n’en est pas moins amer. «Si certains pensent que je vais abandonner le combat, ils se trompent. Je ne critique généralement pas les Américains, ce n’est pas mon boulot. Mais là, le secrétaire d’Etat, Mike Pompeo, a promis à mon fils 175 ans de prison. C’est grotesque, surtout venant d’un homme qui, à la CIA, a supervisé une soixantaine de lieux de détention secrets (black sites).» Pour certains journalistes, une extradition d’Assange aux Etats-Unis serait une attaque contre leur profession.

Rapporteur spécial de l’ONU sur la torture, le Suisse Nils Melzer maintient que Julian Assange est soumis à des mauvais traitements: «On ne l’a pas torturé lors d’interrogatoires. Mais sa détention dans une prison de haute sécurité, c’est de l’intimidation. On veut en faire un exemple pour intimider d’éventuels futurs lanceurs d’alerte. Ses conditions de détention sont disproportionnées et n’ont pas de base légale. L’Association internationale du barreau et le Conseil de l’Europe estiment qu’elles violent les règles de procédure. Ils demandent à ce qu’Assange soit libéré.»

Lire encore: Assange en Suisse, au risque de fâcher Trump?

Le rapporteur spécial ne se fait pas trop d’illusions sur le procès, qui entre dans une phase décisive. «La juge n’aura pas le poids politique pour rejeter la demande américaine, bien qu’une convention entre les Etats-Unis et le Royaume-Uni interdise toute extradition pour un délit politique. Or c’en est un. Là, le système judiciaire britannique n’a pas prouvé son impartialité et son indépendance. Cela pose des questions quant à l’Etat de droit.» Nils Melzer évoque aussi les accusations de viol portées contre Assange par la Suède, qui ont toutes été abandonnées en novembre 2019 et qui auraient dû signifier la libération de l’Australien.

Collaboration avec la Russie

Si les conditions de la détention de Julian Assange sont très discutables, le fondateur de WikiLeaks demeure un personnage très controversé. Il n’est pas toujours apparu comme le grand défenseur de la démocratie même s’il est perçu par certains comme un héros qui a mis en lumière des crimes de guerre commis par les Etats-Unis. Au cours de la campagne présidentielle américaine de 2016, il a étroitement collaboré avec les renseignements militaires russes (GRU) pour saper la campagne de la démocrate Hillary Clinton selon un rapport d’une commission spéciale du renseignement du Sénat, publié voici deux semaines.

Ce rapport est catégorique: «Le GRU et WikiLeaks coordonnaient la publication de documents du DNC (Parti démocrate).» Un proche ami du président Donald Trump, Roger Stone, explique dans le rapport du Sénat qu’il était allé dîner avec Julian Assange à Londres le 4 août 2016 et qu’il communiquait avec ce dernier. Dans un tweet du 3 octobre 2016, Roger Stone déclarait: «J’ai une pleine confiance dans le fait que WikiLeaks et mon héros Julian Assange vont éduquer le peuple américain très prochainement.» Le rapport ajoute: «Le GRU donna des informations à WikiLeaks dans un effort conjoint pour assurer une vaste distribution des documents volés au DNC […].» Lors d’une interview au média Politico le 31 août 2016, Julian Assange dépeint Hillary Clinton comme «un diable qui va mettre la corde autour du cou de tout le monde si elle gagne l’élection».

Lire enfin: Vladimir Poutine veut-il faire élire Donald Trump

Au vu du rôle qu’il a joué lors de la présidentielle américaine, plusieurs critiques dont nombre de journalistes ne voient pas Julian Assange comme un journaliste, mais comme un militant qui a fait le choix d’aider la campagne de Trump avec le soutien de la Russie. Ils fustigent la manière dont il a lâché des informations sans précaution, exposant des milliers de personnes sur le terrain. A cet égard, la justice américaine vient de présenter une nouvelle requête pour refuser à Assange le statut de journaliste. La décision de la cour de Woolwich promet de susciter des réactions contrastées.