«Pensez à un paquebot de croisière qui embarquerait de nouveaux passagers chaque jour. S’il vous plaît, libérez autant de personnes que possible.» L’appel du médecin chef de Rikers Island, prison tristement célèbre de l’Etat de New York où plusieurs surveillants et détenus ont été contaminés, n’est pas resté isolé. Le 25 mars, Michelle Bachelet, haut-commissaire aux droits de l’homme des Nations unies, exhortait elle aussi les gouvernements à réduire les ravages du Covid-19 au sein de la population carcérale en relâchant personnes âgées, malades ou peu dangereuses. Cette question n’est plus taboue et les stratégies se multiplient à l’échelle mondiale.

Défi extrême

Biotope parfait pour la flambée de toute maladie contagieuse en raison de la promiscuité, de l’insalubrité, de l’accès souvent difficile aux soins et de la vulnérabilité des personnes longtemps privées de liberté, le milieu carcéral constitue un défi extrême pour les autorités. Dans son message, Michelle Bachelet souligne qu’il est «vital que les gouvernements prennent en compte la situation des personnes détenues dans leur plan d’action de crise» tout en rappelant que l’Etat a le devoir de protéger la santé physique et mentale des personnes incarcérées.

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Face à la menace, les réactions peuvent être schématisées en trois tendances: les pays qui libèrent massivement, ceux qui confinent à l’extrême et ceux qui jouent plus modérément sur les deux tableaux en instaurant des mesures de restriction (interdiction de sortie et de visites) tout en essayant de limiter les entrées et de favoriser des sorties plus rapides en fin de peine.

Climat de panique

Les dernières semaines montrent que la méthode radicale consistant à vouloir rendre la prison hermétique est susceptible de créer un climat de panique et d’angoisse derrière les barreaux. L’Italie fait l’expérience des émeutes et des évasions après avoir suspendu le travail, les congés et les visites des proches ou des bénévoles. Des soulèvements ont aussi lieu en Argentine, au Brésil, en Thaïlande et en Ouganda. Dans une lettre, des détenus de la prison égyptienne de Tora, privés de tout contact et de moyens de se protéger, appellent au secours: «Sauvez-nous avant qu’il ne soit trop tard.»

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«Les pays d’Europe de l’Est et certains Etats américains se sont aussi tournés vers plus d’enfermement. Appliquée dans des conditions d’hygiène décentes, cette méthode peut contribuer à réduire le danger d’infection mais elle augmente aussi le risque de réactions violentes et péjore la santé mentale des détenus, surtout si la durée des mesures se prolonge», relève Florian Irminger, directeur de l’ONG Penal Reform International.

Absence de contrôle

Pour limiter les effets pervers et l’atteinte aux droits fondamentaux causés par ces privations, certains établissements offrent des compensations aux détenus. Télévision gratuite, crédit téléphonique et aide financière en France. Cinq timbres gratuits par semaine ainsi que deux courriels et un appel à New York. Dans une déclaration de principe datée du 20 mars, le Comité européen pour la prévention de la torture insiste sur la nécessité de prévoir au moins une heure de promenade, de se limiter à des restrictions nécessaires et proportionnées et de permettre un accès accru à d’autres moyens de communication.

Diminuer la population carcérale, c’est le meilleur moyen d’éviter le pire. Quand il y a trop de monde, il y a trop de risques

Florian Irminger, directeur de Penal Reform International

Ce repli massif fait aussi craindre une augmentation des mauvais traitements. «Il n’y a aucune visibilité à l’intérieur des établissements. Les contrôleurs de prison ne sont plus admis et on ne sait pas ce qui s’y passe. Certains pays obligent les surveillants à rester sur place et les détenus se retrouvent à la merci d’un personnel stressé et anxieux. Il faut pouvoir garder un monitoring extérieur et exiger la transparence sur les mesures prises. Notre organisation est d’avis que tout doit être discuté et analysé par un expert médical indépendant qui pourra ensuite l’expliquer aux détenus», précise Florian Irminger.

Diminuer le nombre

Face à la pandémie, le problème le plus délicat reste l’engorgement des prisons. Aux Philippines, ce taux avoisine 400% dans certains établissements. Au Moyen-Orient mais aussi en Afrique subsaharienne, la situation n’est pas meilleure et le système de santé déjà défaillant à l’extérieur. «Diminuer la population carcérale, c’est le meilleur moyen d’éviter le pire. Quand il y a trop de monde, il y a trop de risques», résume Florian Irminger.

Comment s’y prendre pour faire baisser le nombre? L’Iran dit avoir déjà libéré «temporairement» 85 000 détenus et gracié 10 000 personnes à l’occasion du Nouvel An. Le procureur général d’Afghanistan annonce la libération de 10 000 femmes, enfants, détenus malades ou âgés de plus de 55 ans. Le Soudan laisse sortir plus de 4000 détenus de manière anticipée. La Tunisie, la Turquie et la Syrie envisagent des grâces ou des décrets d’amnistie. Mais rien n’indique que ce sont des prisonniers politiques qui en profiteront.

Sortir les plus vulnérables

Dans les pays occidentaux, l’idée de vider les prisons fait aussi son chemin avec une intensité variable selon les traditions en matière de sanctions. Le site d’information Prison Insider détaille ces initiatives. Les Etats-Unis, avec plus de 2,3 millions de détenus et 6000 lieux d’incarcération, cumulent une diversité d’approches. Le 16 mars, le comté de Los Angeles libère quelque 600 prisonniers et le shérif recommande de diminuer drastiquement les arrestations. Au Texas, une douzaine de femmes enceintes peuvent quitter la prison. A New York, un procureur reproche au maire d’avoir planifié la relaxe de détenus qu’il estime trop dangereux. D’autres Etats, tel l’Arkansas, se montrent plus stricts.

Le Royaume-Uni ouvre timidement les portes de ses pénitenciers même si le transfert de 9000 prévenus dans des foyers d’accueil est envisagé. La France, peu portée sur les peines alternatives et confrontée à une surpopulation endémique (70 000 détenus pour 58 000 places), commence à plier. La garde des Sceaux, Nicole Belloubet, diffère tout d’abord l’exécution des courtes peines pour limiter les entrées. Le 24 mars, elle annonce encore vouloir libérer 5000 personnes. Trois jours plus tard, un syndicat dépose plainte contre le premier ministre et la ministre de la Justice pour mise en danger de la vie du personnel pénitentiaire.

Une opportunité?

Aucun modèle n’émerge comme une solution à la crise. «C’est bien de libérer mais il faut que le système social puisse prendre le relais. Au Texas, par exemple, la moitié des détenus bénéficie d’un suivi médical en prison. Ce serait sans doute pire pour leur santé de se retrouver dehors», constate encore Florian Irminger.

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Pour cet observateur, la situation actuelle démontre que l’augmentation continue de la population carcérale au niveau mondial et l’allongement des peines (les détenus sont de plus en plus âgés et isolés) doivent être freinés. «Il faut se demander pourquoi certains Etats enferment autant de monde et faire en sorte que le système pénal punisse moins ou différemment.» Florian Irminger l’espère: la pandémie va peut-être changer le regard de tout un chacun sur la détention et rendre plus acceptable l’idée des solutions alternatives. Car, en cette période de confinement général, nous avons tous quelque chose du prisonnier.