Un jeune Neuchâtelois mis en quarantaine. Suspicion de coronavirus. Mardi, au moment de l’annonce de la nouvelle, une légère effervescence s’est emparée de la rédaction du Temps. Quelle place donner à cette information? Un entretien avec le médecin cantonal sera finalement réalisé pour faire le point sur l’état de santé de l’enfant. Quelques heures avant, un appel à la mesure se faisait entendre lors de la conférence de rédaction matinale. «Je ne sais pas s’il est utile d’alimenter la psychose», prévenait un journaliste, en référence aux cinq personnes infectées en Haute-Savoie. Sur notre site, près de 120 articles portent sur le coronavirus avec un temps de lecture plus élevé que la moyenne.

Le traitement journalistique du sujet s’avère délicat. Il faut s’intéresser aux grandes phases de l’épidémie sans submerger le lecteur d’informations angoissantes. Le risque de saturation est d’autant plus élevé que le sujet concerne plusieurs rubriques du journal, principalement la science et l’international. «Il est arrivé qu’une ou deux éditions contiennent un article sur le coronavirus dans chaque rubrique. Ce n’était pas spécialement alarmiste mais on s’est dit qu’on aurait pu mieux échelonner la publication des contenus», note Fabien Goubet, journaliste scientifique.

Ce fait d’actualité bouscule les habitudes de sa rubrique. Habituellement, cette dernière s’intéresse à des publications scientifiques qu’elle soumet à des spécialistes pour produire un article solide. Avec le coronavirus, ce filet de sécurité est fragilisé. Les informations abondent et la situation évolue au jour le jour. Autre difficulté: plus la crise s’allonge, plus il est difficile de solliciter des chercheurs. «Ils ne peuvent pas intervenir dans l’ensemble de nos articles», confirme Fabien Goubet. Ces prises de parole mesurées forment un socle indispensable au moment où des rumeurs et théories du complot se propagent sur les réseaux sociaux.

Mettre en perspective le discours officiel

La localisation de l’épicentre de l’épidémie ne facilite pas le travail des journalistes. Le pouvoir chinois verrouille les réseaux sociaux et cadenasse les médias locaux pour couper court aux critiques sur sa gestion de la crise et imposer sa propagande dans les têtes. La censure s’est renforcée après la mort du docteur Li Wenliang, premier à avoir alerté sur l’émergence du virus en décembre dans son hôpital de Wuhan. L’annonce de sa disparition a déclenché un torrent d’indignations sur le web avant que les censeurs ne stoppent le flux de publications. «Son histoire illustre la volonté farouche du pouvoir d’étouffer l’affaire», confirme Marc Allgöwer, responsable de la rubrique internationale.

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Deux correspondants, l’un à Shanghai, l’autre à Hongkong, se rendent sur le terrain pour mettre en perspective le discours officiel. Notre journaliste Simon Leplâtre a pu échanger avec des proches de personnes contaminées et mesurer ainsi le «mutisme coupable» des autorités du pays. «L’enjeu est autant sanitaire que politique, souligne Marc Allgöwer. Il s’agit de comprendre comment ce pouvoir autoritaire gère l’épidémie.» Cette actualité atteint également la Suisse, au siège genevois de l’Organisation mondiale de la santé. L’institution, qui a qualifié le virus de «très grave menace» pour le monde, est sous le feu des projecteurs depuis plusieurs semaines. «Notre rédaction doit faire un effort de décryptage des décisions de l’OMS en prenant en considération les pressions, réelles ou supposées, de la Chine.»

Cette large couverture médiatique, du bout du lac à l’Empire du Milieu, pourrait évoluer. «On va probablement devoir sélectionner avec encore plus d’exigence les angles journalistiques pour éviter des répétitions qui alimenteraient une forme d’anxiété. On navigue à vue», estime Marc Allgöwer. Même tendance à la rubrique scientifique, selon Fabien Goubet: «Si les cas de contamination continuent à se stabiliser, on va sans doute calmer la fréquence de publication des articles.»