Renato Janine Ribeiro: Il a mis fin à la crise de confiance des marchés financiers qui craignaient de voir élu un homme de gauche. Pour leur montrer qu'il honorerait la dette et maîtriserait l'inflation, il a adhéré à l'austérité fiscale et monétaire. Mais cette politique a eu un coût: le chômage a augmenté, la pauvreté n'a pas reculé.
– Lula suit la recette du Fonds monétaire international (FMI), son ex-bête noire. A-t-il trahi la gauche?
– Non, il n'avait pas le choix. Maintenant il doit assouplir l'austérité, sans quoi il lui sera très difficile de tenir ses promesses sociales.
– Mais rien n'indique que la politique économique va changer. Lula a renouvelé, pour un an, l'accord du Brésil avec le FMI sans négocier une baisse de l'effort fiscal…
– Le grand problème de Lula, ce sont les milieux économiques, nationaux et internationaux. Il a peur qu'ils lui fassent la guerre, en déclenchant une nouvelle crise s'il fait un virage à gauche. Mais ce virage, Lula va devoir le prendre. Car si, à la fin de son mandat, il n'a pas réduit la misère et l'injustice sociale, ce sera un suicide politique, pour lui et le PT. En revanche, s'il y parvient, il aura créé une nouvelle voie pour la gauche.
– Plusieurs intellectuels ont rompu avec le PT. Pas vous. Pourquoi?
– L'avenir de la gauche dépend du succès ou non de son gouvernement. Rompre avec lui ne sert qu'à sauver sa bonne conscience. Il faut plutôt faire pression sur lui, ne pas le laisser tranquille, pour le ramener à gauche.
– Lula suit la politique économique de l'ex-gouvernement (ndlr: de centre droit). Qu'est-ce qui a changé avec lui?
– Il a mis fin aux privatisations des entreprises stratégiques. De plus, il ne traite pas comme un criminel le mouvement social qui l'a porté au pouvoir. Il dialogue et négocie avec le Mouvement des sans-terre (MST). Le MST voulait que des terres soient remises à un million de familles d'ici à 2006. Lula lui a dit qu'il ne pouvait en installer que la moitié.
– Comme son prédécesseur, Lula fait une priorité de l'intégration latino-américaine. Grâce au Brésil, un accord de libre-échange entre le Mercosur et les pays andins a été signé. On ressent une politique étrangère plus active.
– Sans doute. Elle est aussi plus marquée à gauche. Lula a intensifié les liens avec le monde émergent dont il brigue le leadership. Il veut renforcer le Sud face au Nord. Il ne s'agit pas que d'une alliance idéologique. La création (ndlr: par le Brésil, l'Inde et l'Afrique du Sud) du G-20 le montre. Lula cherche aussi à se démarquer des Etats-Unis, mais sans les heurter de front, avec pragmatisme.
– Etes-vous optimiste?
– Je suis inquiet de voir que des questions importantes, comme la renégociation de la dette, ne sont pas à l'ordre du jour. Mais j'ai encore de l'espoir. Les jeux ne sont pas faits. Lula ne peut pas changer les choses du jour au lendemain.