Bataille Airbus-Air France en coulisses, colère des familles de victimes qui dénoncent une enquête sous influence: la controverse autour du dernier rapport sur le drame du vol Rio-Paris illustre les énormes enjeux pour établir les responsabilités de la catastrophe.

Mardi soir, c’est une information de presse qui a relancé le débat. «Les Echos» et «La Tribune» révélaient qu’une recommandation sur l’alarme de décrochage de l’Airbus A330 accidenté, figurant dans la mouture quasi définitive du dernier rapport des enquêteurs, avait été retirée de sa version officielle.

Interrogé par l’AFP, le Bureau d’enquêtes et d’analyses (BEA) a reconnu que les enquêteurs avaient envisagé une telle recommandation mais qu’ils l’avaient finalement jugée prématurée.

Ce détail, très technique, est pourtant symbolique. Certains y voient la preuve de pressions sur le travail du BEA afin de protéger Airbus. D’autant que sur les dernières recommandations de sécurité émises par l’organisme, trois visaient les pilotes et une seule les appareils d’Airbus.

Pour des familles de victimes, représentées par l’association Entraide et Solidarité AF447, l’enquête est «définitivement discréditée», les affirmations «de la tutelle du BEA» étant «partiales et très orientées vers la défense d’Airbus».

Le SNPL, principal syndicat des pilotes, a décidé de son côté de se retirer provisoirement de l’enquête, redoutant que celle-ci «se transforme en une simple instruction à charge contre l’équipage».

Le rapport publié vendredi a mis en avant des manquements de l’équipage dans les derniers instants du vol. Selon lui, les pilotes n’ont pas appliqué les procédures requises face aux deux principaux incidents ayant conduit au crash: le givrage des sondes Pitot de marque Thales censées mesurer la vitesse, et le décrochage de l’appareil.

Le scénario privilégiant l’erreur de pilotage court depuis plusieurs semaines dans les rédactions, suscitant de nombreuses questions: qui est derrière ces allégations? Sont-elles fondées? Les pilotes sont-ils une cible idéale? Les enquêteurs sont-ils vraiment indépendants?

Autant de questions face auxquelles les principaux intéressés bottent en touche. Pour Air France, «rien ne permet à ce stade de remettre en cause les compétences techniques de l’équipage».

Airbus, très discret depuis vendredi, refuse lui aussi d’endosser le mauvais rôle. «Peut-on imaginer une seconde que, pour des questions d’intérêts économiques ou de liens entre le BEA et Airbus, on puisse mettre en péril toutes les autres compagnies qui opèrent cet avion? Ce n’est ni concevable, ni admissible», affirme un porte-parole du constructeur.

Près de 180 transporteurs utilisent l’A330 dans le monde et sur ces «questions de sécurité, il faut sortir du débat franco-français», estime-t-il.

Pourtant, c’est bien la place de l’Etat français dans ce dossier qui semble délicate. Le BEA travaille sous la tutelle du Ministère des transports. De plus, la France est actionnaire des trois entreprises impliquées dans le drame: Airbus (à hauteur de 15%, via EADS), Air France-KLM (15,7%) et Thales (27%). «Moi je défends le BEA, comme Air France, comme Airbus», a déclaré mercredi à l’AFP Thierry Mariani, ministre chargé des Transports, assurant que le BEA travaillait «dans une indépendance totale».

«L’Etat a intérêt à protéger une seule personne: la vérité», a-t-il assuré, réaffirmant que l’enquête se bornait à donner «la véracité des faits» et qu’il reviendrait à la justice de désigner ensuite les éventuels responsables. Airbus et Air France sont mis en examen dans ce dossier pour homicides involontaires.