Les mains accrochées au volant de sa voiture, le visage encadré par un foulard, Fariba Pajooh ne comptait jamais les heures, ni les kilomètres parcourus. Dans le labyrinthe miné de la République islamique, elle zigzaguait du matin au soir entre les interdits. «Ma plume, c’est mon totem», écrivait-elle, cet été, sur son blog, «Après la pluie», quelques jours après la réélection contestée d’Ahmadinejad, le 12 juin dernier, déclencheur d’une vague de protestations inédite en République islamique d’Iran.

Malgré le contrôle renforcé d’Internet, elle avait osé y évoquer les viols de jeunes manifestants arrêtés. Aujourd’hui, la jeune journaliste de 30 ans en paie le prix fort. Incarcérée depuis plus de deux mois dans la prison d’Evine, elle est condamnée au silence.

Il est 19 heures, ce 28 août, quand trois hommes en civil, un mandat d’arrêt entre les mains, font irruption à son domicile. Après avoir inspecté les étagères, ils saisissent un ordinateur, et lui ordonnent de les suivre. «Vous avez voté pour Moussavi?», demande l’un d’entre eux, en posant son regard sur un poster du principal rival d’Ahmadinejad aux élections. «Oui. Est-ce un crime?», répond la mère de Fariba. Dans la famille, tout le monde a voté pour ce candidat du changement. Approuvé par le puissant Conseil des Gardiens, cet ex-premier ministre n’a, en principe, rien d’un outsider. C’est un pur produit du système. Mais ses aspirations réformistes et sa popularité croissante, surtout après sa dénonciation de la «fraude électorale», en ont rapidement fait un «ennemi» aux yeux des durs du régime.

Faute de pouvoir s’en débarrasser, ils s’attaquent à ses partisans – manifestants, politiciens réformateurs, étudiants et journalistes – qu’ils accusent d’avoir voulu fomenter une «révolution de velours». Objectif: arrêter cette «vague verte» – couleur de l’opposition – et la discréditer. «Fariba est victime de cet engrenage», soupire sa mère, Farideh Pajooh, contactée par téléphone à Téhéran.

Depuis l’arrestation de sa fille, elle multiplie les allers-retours au Tribunal révolutionnaire, dans l’espoir de la faire libérer au plus vite. Là -bas, les rumeurs vont bon train sur les accusations qui pèsent sur Fariba: espionnage, tentative de renversement du régime, relations illicites avec des étrangers. «C’est le propre du journalisme que d’être en contact avec d’autres personnes!», conteste Nehmat Ahmadi, un de ses deux avocats, privés jusqu’à ce jour du droit de voir leur cliente.

A la fois femme et reporter dans un pays peu enclin à la libéralisation de la presse et du second sexe, Fariba a toujours été de ceux qui courent après l’information comme on court après l’amour impossible. Sans retenue. «Ici, pour être journaliste, il faut être fou ou amoureux», nous avait-elle confié, un jour, alors qu’elle rentrait d’un reportage dans la ville d’Illam, au sud du pays. Elle y avait enquêté sur les suicides de femmes par ingurgitation de ciment. Loin d’elle, pourtant, l’envie de ternir l’image de son pays. Elle était toujours la première à dire, qu’en dépit des obstacles, les Iraniennes représentent 60% des étudiants à l’université. Patriote dans l’âme, elle aimait aussi rappeler que son père, un ancien colonel de l’armée, avait défendu son pays pendant la guerre Iran-Irak (1980-88). Blessé aux gaz chimiques, il souffre aujourd’hui de la maladie de Parkinson.

«Je n’ai plus aucun moyen de communication. Juste mes larmes et mes soupirs», écrivait-elle sur son blog – son dernier refuge – au pic de la tempête postélectorale. D’abord virtuelle, sa prison est désormais réelle. Seule éclaircie: après plus d’un mois d’isolement, dans une pièce microscopique, elle a été transférée dans une cellule collective et bénéficie, tous les lundis, d’un droit de visite parental.

La semaine dernière, une de ses compagnes, Hengameh Shahidi, avec qui elle venait d’entamer une grève de la faim, a finalement été libérée. Les parents de Fariba gardent espoir, mais ne cachent pas leur inquiétude. «Elle est pâle et elle a beaucoup maigri. La nuit, elle fait des insomnies. C’est vrai qu’elle dispose désormais d’un frigo et d’une télévision, mais elle s’ennuie terriblement. Le plus douloureux, c’est de ne pas savoir ce que la justice lui réserve», se désole sa mère.