Le Temps: Etes-vous surpris de votre nomination?
Joseph Zen Ze-kiun: Il n'y avait plus qu'un seul cardinal chinois, celui de Kao-Hsiung, à Taiwan, qui est âgé de 82 ans et ne peut plus se déplacer. Il était logique d'en nommer un nouveau et Hongkong avec ses 250000 catholiques est le plus grand diocèse chinois. Mais il y avait peu de places à repourvoir [ndlr: 12 cardinaux]et rien n'était sûr.
S'agit-il d'un geste politique du Saint-Siège pour se rapprocher de Pékin?
Je le pense. Car tout est politique avec Pékin.
Voyez-vous une possibilité d'établir des relations diplomatiques dans un proche avenir?
Nous n'avons jamais été proches d'une conclusion jusqu'ici. Des négociations ont été entamées avant 1989 puis à la fin des années 1990. A chaque fois, elles ont été stoppées. L'arrivée d'un nouveau pape peut permettre de relancer le processus. Mais cela n'ira pas vite. Quoique en Chine tout est imprévisible. Pékin a posé deux conditions: d'abord la rupture avec Taïwan. Le Vatican est d'accord. Ensuite, la nomination des évêques. Pékin ne veut pas d'interférence du Saint-Siège. C'est impossible, mais le Vatican est prêt à négocier. Dans les faits, on assiste déjà à des compromis.
Qu'est-ce qui bloque la négociation alors?
Peut-être que le Vatican a d'autres conditions sur la direction de l'Eglise en Chine. La conférence des évêques doit être la plus haute institution de l'Eglise et fonctionner librement sans intervention du pouvoir.
Qu'en est-il de la situation des chrétiens en Chine?
Le protestantisme se développe beaucoup plus vite que le catholicisme. Notre façon d'agir est plus lente, la formation plus longue. Il y a également des rivalités de personnes dans l'Eglise souterraine. Pour le reste, rien n'a changé. Les catholiques non officiels sont toujours hors la loi, en danger, certains sont arrêtés et relâchés peu de temps après. Mais un évêque a disparu depuis cinq ans.
Pourquoi vous surnomme-t-on le Desmond Tutu chinois?
Selon l'enseignement de l'Eglise, il faut se référer aux droits de l'homme et s'exprimer quand c'est nécessaire. A Hongkong c'est tout à fait nécessaire. Il faut utiliser la liberté d'expression tant qu'on peut encore le faire sans quoi l'on se trahit. L'Eglise se bat pour les intérêts du peuple et nous avons de l'influence.
Que pensez-vous de Donald Tsang appointé par Pékin pour diriger le territoire de Hongkong et qui est catholique?
C'est un croyant. Mais je doute qu'il soit conscient de l'enseignement social de l'Eglise. Il obéit trop. D'après la Constitution, il peut faire des suggestions à Pékin. Il ne le fait pas. Moi, je ne peux pas, je suis considéré comme un rebelle.
Etes-vous influencé par la théologie de la libération?
Non, non. Je suis l'enseignement du pape. J'ai étudié la philosophie à Rome auprès du professeur d'éthique Josep Mattai qui m'a beaucoup influencé.
Etes-vous optimiste sur la démocratisation de Hongkong ou craignez-vous au contraire une érosion de son autonomie?
En ce moment, je ne blâme pas tant les dirigeants de Pékin. Le problème est que beaucoup de Hongkongais s'intéressent d'abord à l'essor de leur business et qu'ils veulent bien se faire voir de Pékin. Ils ne veulent pas de vraies réformes démocratiques, d'amélioration des conditions des travailleurs. Les tycoons de Hongkong ont l'argent et le pouvoir. C'est très dangereux. Le gouvernement ne respecte pas les droits de l'homme. Dans ces conditions, il est difficile d'être optimiste. Cela ne va pas changer rapidement. Mais la démocratie viendra car même à Pékin, certains hauts dirigeants commencent à comprendre que le système actuel ne pourra pas durer.
On vous écoute?
Je crains que non. Ils disent que nous sommes des ennemis, que l'Eglise ne coopère pas. Mais nous sommes patriotes et un Hongkong démocratique servirait mieux les intérêts du gouvernement central.
Pékin ne veut pas de précédent...
-... mais ils disent qu'ils veulent la démocratie.
Et vous les croyez?
Qui succédera à Hu Jintao [ndlr: le président chinois]? Il ne pourra imposer un successeur comme le fit Deng Xiaoping. Il y aura un danger de désordre. Ils auront bien alors besoin d'élections.