FIFA: la puissance américaine au service de la justice
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L’extraterritorialité, un principe qui agace, mais qui comble des lacunes. La lutte anti-corruption est une priorité pour l’administration Obama

FIFA: la puissance américaine au service de la justice
Etats-Unis L’extraterritorialité, un principe qui agace, mais qui comble des lacunes
La lutte anti-corruption, priorité pour Washington
Faut-il y voir un nouvel exemple de l’impérialisme américain, comme le dénonce le Kremlin? La récente opération coup de poing orchestrée par le Département américain de la justice (DoJ) en collaboration avec le fisc (IRS) et le FBI contre 14 personnes inculpées pour fraude et corruption dans le cadre de la FIFA a suscité quelques commentaires acides sur un principe d’extraterritorialité controversé. Un principe avec lequel les banques et les milieux financiers suisses ont dû se familiariser en se conformant à la nouvelle législation américaine unilatérale Fatca. En Suisse, la critique a d’autant plus d’écho que les autorités judiciaires helvétiques ont coopéré étroitement avec Washington pour arrêter 7 des 14 inculpés qui résidaient à l’hôtel Baur au Lac de Zurich, au moment du congrès annuel de la FIFA. Or, l’enquête américaine, dont l’actuelle ministre de la Justice, Loretta Lynch, fut la cheffe de file quand elle était encore procureure fédérale à Brooklyn, ne fait que commencer, prédit-on outre-Atlantique. Elle devra cependant apporter des preuves solides.
A Vienne, lors de la conférence des 175 Etats parties à la convention des Nations unies contre la corruption organisée, début juin, l’action américaine contre la FIFA a suscité plutôt des éloges discrets. Certains l’attribuent au fait que le football est un sport populaire dans le monde entier. D’autres estiment que les Etats-Unis font le travail que d’autres ne font pas ou n’arrivent pas à faire. L’aspect qui a tendance à agacer les Européens toutefois, c’est la pratique du plea bargain consistant à négocier sa peine avec la justice contre des informations précieuses permettant à l’enquête d’avancer. Une forme de délation.
Selon Steven Schneebaum, avocat et spécialiste du droit international à Washington, les Etats-Unis se sont basés sur la loi RICO (Racketeer Influenced and Corrupt Organizations Act) contre le crime organisé pour mener leur action: «Contrairement à la plupart des lois qu’adopte le Congrès, celle-ci n’a pas de limites territoriales. Il suffit qu’il y ait un lien non trivial avec les Etats-Unis pour que la justice américaine puisse s’emparer du cas. En l’occurrence, il y a Chuck Blazer, un citoyen américain (ancien numéro deux de la Concacaf, l’organisation faîtière du football d’Amérique du Nord, centrale et des Caraïbes) qui a plaidé coupable, des banques américaines ont été utilisées pour le transfert d’argent et des fournisseurs Internet des Etats-Unis ont été sollicités.»
Pour l’avocat genevois Charles Poncet, les Etats-Unis sont la «seule puissance capable de concurrencer les grandes entreprises criminelles». Son pouvoir extraterritorial découle, ajoute l’avocat, «directement de son pouvoir politique». Et Charles Poncet de donner l’ampleur que peut prendre le crime organisé: la ’Ndrangheta en Italie génère 50 milliards de chiffre d’affaires. «Même si les moyens de la justice américaine ne sont pas infinis, ajoute-t-il, ils restent impressionnants. Entre le FBI et l’IRS, les Etats-Unis peuvent aisément mettre une task force de 200 personnes sur une enquête de type FIFA. Aucun pays européen ne peut se permettre cela.»
Le président américain Barack Obama a toujours été catégorique: la corruption «est l’une des grandes batailles de notre temps». Elle pervertit des sociétés et des Etats où les Etats-Unis ont des intérêts. Depuis près de trente ans, Washington se présente comme le héraut de la lutte contre la corruption au point d’en faire un élément central de sa politique étrangère et de développement. Dans le prochain rapport annuel de Transparency International qui doit sortir à la fin du mois, les Etats-Unis seront à nouveau classés parmi les quatre meilleurs élèves pour combattre le phénomène. C’est sous la pression américaine que l’Organisation de coopération et de développement économiques a adopté une convention anti-corruption en 1997 qui reste un modèle du genre. Mais plus de la moitié de la quarantaine d’Etats signataires n’ont pas les moyens de la mettre en œuvre.
L’avocat américain Steven Schneebaum souligne que l’extraterritorialité de la justice américaine ne date pas d’aujourd’hui: «Dans les années 1950, les Etats-Unis avaient sévi contre les fabricants de montres en Suisse qui s’étaient entendus sur les prix de leurs produits vendus aux Etats-Unis.» Au plan suisse, il voit d’ailleurs une évolution intéressante: «Dans le cas de la FIFA, la Suisse a été coopérative. Elle a ouvert elle-même une enquête contre une possible affaire de corruption dans l’attribution des Coupes du monde de football à la Russie en 2018 et au Qatar en 2022. Ce pourrait être un tournant dans les relations américano-suisses après que Washington eut l’impression que la Suisse traînait les pieds pour appliquer la loi dans les affaires bancaires.»
«Les Etats-Unis peuvent aisément mettre en place une task force de 200 personnes sur la FIFA»