Interpellée, enfant, par les images de boat people en provenance du Cambodge, elle avait senti le besoin irrépressible d’écrire une dissertation sur le sujet. Ce n’est donc pas une surprise de la voir à 24 ans déjà travailler sur le terrain, à Hanoï au Vietnam, pour Care, une ONG australienne active dans le développement. La révélation viendra toutefois plus tard, à Sulaimaniyah, dans le Kurdistan irakien, peu après la première guerre du Golfe. C’est dans les montagnes kurdes d’Irak que le travail en situation a commencé à séduire Fiona Terry: «J’en suis devenue accro.» Elle roule ensuite sa bosse dans des théâtres d’opérations difficiles, notamment en Somalie, en Tanzanie, au Liberia et au Rwanda pour Médecins sans frontières.

L’aide des données

Aujourd’hui responsable du Centre pour la recherche opérationnelle et d’expérience au CICR (Core), une unité créée en 2018, cette Australienne de 53 ans, née à Oxford en Angleterre dans une famille britannique de la classe moyenne, parle de l’humanitaire en connaissance de cause, mariant l’expérience du terrain à la recherche académique. Après avoir officié pour le CICR au Kenya, au Népal, au Soudan et en Birmanie, elle cherche désormais à renforcer l’impact de l’organisation humanitaire en recourant de manière systématique à la science comportementale.

Pour Fiona Terry, il ne suffit pas de prêcher le respect des Conventions de Genève. Des efforts supplémentaires, fondés sur la collecte de données très diverses sur un groupe armé, sur les conditions de vie, sur des techniques relatives à la science comportementale dans l’humanitaire, sont indispensables pour influer sur les attitudes des belligérants. Surtout à une période où le droit international humanitaire est largement bafoué.

L’un des projets de l’unité Core, intitulé «Nudging in Pakistan», prône des techniques pouvant aider à changer en douceur des comportements inadéquats, en l’occurrence des actes violents envers le personnel médical. Mené en collaboration avec l’EFPZ à Peshawar et à Karachi, le projet établit les points de friction dans les hôpitaux examinés. Un bureau d’information y est installé pour renseigner au mieux les patients et un engagement est pris: le personnel médical s’engage à agir au mieux de ses capacités et le patient à se comporter correctement.

Violences sexuelles

Avec les groupes armés non étatiques, le CICR promeut un dialogue «augmenté» en s’appuyant sur des données informatisées qui donnent un aperçu global de la situation. «Nous essayons de connaître la situation économique du groupe armé, note Fiona Terry, mais aussi les blessés qu’il a dans ses rangs, le type de blessures. Nous analysons aussi les raisons expliquant son éventuel manque de confiance dans le droit humanitaire.» La chercheuse insiste: «Dans un tel contexte, la perception du CICR est absolument vitale.»

L’approche comportementale de Fiona Terry est aussi appliquée pour réduire les violences sexuelles perpétrées surtout par des jeunes hommes, notamment au Soudan du Sud et en République centrafricaine: «Nous travaillons sur les croyances des jeunes hommes et les normes sociales qui les animent pour prévenir de telles violences.» Le recours à la réalité virtuelle est aussi un outil précieux, développé en partenariat avec les universités de Lausanne et de Zurich pour faire prendre conscience de la nécessité de faire preuve de retenue dans des théâtres de guerre.

Fiona Terry ne cherche pas à enjoliver les choses. Pour elle, l’humanitaire n’est pas un acte de foi dans l’humanité, mais plutôt une passion inextinguible née de la colère face aux injustices qui déchirent la planète. Elle voit la tragique famine somalienne en direct en 1992-1993. Son tempérament la pousse à s’interposer face aux brigands qui s’en prennent aux camps de réfugiés. Mais on lui conseille de contenir son courroux. L’Australienne œuvre pour l’ONU en Somalie. Elle nous en parle pourtant avec un ton mâtiné d’euphémismes: l’organisation ne correspond pas à sa personnalité.

Paradoxe humanitaire

Au cours de son parcours, Fiona Terry a été prise dans les contradictions de l’humanitaire. Responsable de MSF France dans les camps de réfugiés rwandais en Tanzanie peu après le génocide, elle fut l’une des premières à prendre la difficile décision de mettre un terme à l’action de MSF: «C’est tout le paradoxe. Nous, humanitaires, pouvons réduire les souffrances des gens dans des conflits, mais nous pouvons aussi involontairement prolonger la guerre. En Tanzanie, quand j’ai vu que les génocidaires profitaient de notre programme d’aide, nous ne pouvions plus continuer.» L’expérience la marquera tellement que, de retour à Canberra, elle en fera le sujet d’une thèse de doctorat, «The Paradox of Humanitarian Action», qui lui vaudra un succès de librairie et le Prix Grawemeyer en 2006, qu’elle touchera dans un stade de baseball à Louisville, Kentucky!

Toujours animée par le feu sacré, Fiona Terry sait garder la distance nécessaire par rapport à son engagement humanitaire et faire preuve, le cas échéant, d’autocritique. Une qualité intrinsèque de la chercheuse.


Profil

1967 Naissance à Oxford, en Angleterre.

1994 Responsable de MSF France dans les camps de réfugiés rwandais en Tanzanie.

2000 Doctorat à l’Université nationale australienne de Canberra.

2015 Conseillère de recherche au CICR.

2018 Responsable du Centre pour la recherche opérationnelle et d’expérience du CICR.