Le discours classique d’extrême droite fait place à une analyse des fractures françaises et à une stratégie de formation accélérée des nouveaux militants
Mélanie en est persuadée. A 25 ans, la jeune Savoyarde venue «rencontrer le vrai Front national» montre du doigt l’affiche placardée à l’entrée du Palais des Congrès de Lyon, ornée du slogan «Le premier parti de France». «Vous verrez, 2015 prouvera que ceux qui nous étiquettent «extrême droite» ont tort. Nous sommes la grande formation du rassemblement patriote», dit cette commerciale réservée. Peu avant, les formules intransigeantes de son voisin, sur les étrangers et la nécessité de «fermer d’urgence les frontières», l’ont clairement indisposée: «La force du FN qu’incarne aujourd’hui Marine ne doit pas être l’exclusion. Au contraire. Pour gagner les prochains scrutins, nous devons nous ouvrir et accepter de dialoguer avec tous. Nous ne devons pas être un parti-forteresse.»
Finie l’heure des harangues. Ignorées, ou presque, les accusations récurrentes du patriarche Jean-Marie Le Pen, premier à s’exprimer devant les militants, contre «tous ces gauchistes de SOS Racisme ou de la Ligue communiste révolutionnaire qui nient la France et ne l’aiment pas». Mélanie et son groupe d’amis se sont assis, dans le grand amphithéâtre, aux côtés de Paul, un nouvel adhérent, sexagénaire, de la région de Valence. La conversation s’engage. Dehors les immigrés? Haro sur la mondialisation? Bien sûr. Mais en prenant garde aux mots employés, et en évitant de tomber dans les diatribes haineuses. Enseignant d’anglais dans un collège, Paul estime incarner ce «nouveau visage du Front», présent même dans les bastions réputés de gauche comme l’éducation nationale. «Notre force, c’est de dire les choses, de briser les tabous», explique-t-il, en écoutant d’une oreille le discours sur la formation de Louis Aliot, le compagnon de Marine Le Pen: «Dans notre section départementale, le mot d’ordre est d’étayer d’exemples locaux chacune de nos affirmations, d’être au plus près des gens, au quotidien.» Debout, l’orateur décline les priorités de la formation en vue de la prochaine échéance, les élections départementales de mars 2015, après le succès retentissant aux européennes de mai qui ont vu le FN arriver en tête: «La politique est une affaire de professionnels. Vous devez apprendre à faire remonter les informations. A les traiter. A apporter des réponses précises.»
Le Front national version Marine Le Pen n’est pas qu’un parti. C’est une école où les nouveaux militants et apprentis candidats reçoivent, clés en main, les premiers outils électoraux pour partir battre la campagne. Autrefois, la formation accueillait dans ses congrès des stands historiques, pour vendre des publications parfois ouvertement révisionnistes et des disques de musique militaire. Une tradition célébrée à sa manière par Jean-Marie Le Pen qui, pour ouvrir son discours, a emprunté fièrement une devise d’un régiment parachutiste: «Etre et durer». Sauf qu’aujourd’hui les applaudissements ne sont que la partie émergée de la «machine FN».
La dynamique de ce parti renouvelé se voit dans la file de jeunes adhérents, en train de patienter pour se faire maquiller, avant la séance de photos pour leurs futures affiches. Elle se voit dans les stands des collectifs mis sur pied pour quadriller le terrain et faire travailler, sur les thématiques de la future campagne présidentielle de 2017, «professionnels et experts». Thibault, un Jurassien originaire de Dôle, est responsable du collectif «Audace» chargé du monde de l’entreprise. Agé d’une trentaine d’années, devenu lui-même entrepreneur après le rachat d’une petite société spécialisée dans le traitement de l’aluminium, ce conseiller municipal FN promet des propositions «novatrices» sur le thème, très populaire, du «made in France». Il salue Steeve Briois, le maire d’Hénin-Beaumont, fief nordiste de Marine Le Pen: «Les autres partis ne veulent pas admettre que nous avons changé et que les Français l’ont compris», dit-il, en affirmant que «dans sa famille sarkozyste, tout le monde vote aujourd’hui Marine».
L’intéressée, elle, savoure. Et prend le temps. Tout habillée de noir, la présidente du Front national se comporte déjà en candidate du second tour de la présidentielle 2017, comme le prédisent les sondages. Son sens de la répartie s’est aiguisé. Ses références européennes – pour mieux dire, sa phobie de l’UE et de l’euro – sont devenues plus précises, argumentées, lestées de références aux partis «amis». Même plus besoin de prendre ses distances avec les propos de son père, toujours provocateur. A Jean-Marie la statue du commandeur. A elle le gouvernail. «Marine est une présidente stratège. Elle montre aux Français déboussolés qu’elle a un cap et qu’elle s’y tient», estime Florian Philippot, l’un de ses bras droit.
Dans l’attente d’un des ateliers de travail proposés par le parti, Mélanie la Savoyarde sourit. Un écran de TV montre Nicolas Sarkozy et son score décevant à la présidence de l’UMP. Elle l’avoue: elle a cru, en 2012, à Sarkozy, à son discours volontariste, à ses promesses de «protéger les Français». Mais rien n’est venu. Alors oui, le discours anti-élitiste, anti-parisien, anti- «UMPS» de la présidente du FN la séduit. «Nous sommes les porte-parole des nouvelles fractures françaises, assène-t-elle. Et plus elles se creusent, plus on nous écoute!»
«Marine est une présidente stratège. Elle montre aux Français déboussolés qu’elle a un cap»