Quelques heures après le vote, jeudi, de la résolution du Conseil de sécurité, Paris a commencé à envoyer des renforts en Centrafrique (RCA), dans le cadre de l’opération «Sangaris». Elle va tripler son contingent, qui passera à 1200 hommes. La situation de chaos et de violence dans laquelle a basculé le pays, ainsi que l’opération de rétablissement de la sécurité sur place, seront au menu d’un sommet informel samedi après-midi à Paris. Il se tiendra dans le sillage du sommet de l’Elysée pour la paix et la sécurité en Afrique, qui s’ouvre aujourd’hui, auquel 35 chefs d’Etat et de gouvernement africains sont attendus.

Depuis son arrivée au pouvoir il y a dix-huit mois, c’est la deuxième intervention militaire française en Afrique à laquelle François Hollande donne le feu vert, après le Mali début 2013. Avant cela, en 2011, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, il y a eu la Côte d’Ivoire, ainsi que la Libye. La France continue à endosser le rôle du gendarme sur le continent africain, essentiellement en Afrique francophone subsaharienne, dans des pays qui furent ses anciennes colonies.

Officiellement pourtant, Paris souhaite n’agir qu’en deuxième ligne, en soutien des forces africaines et dans le cadre d’un mandat onusien. Les conseillers du président de la République en matière de politique étrangère appellent cette ligne politique «la doctrine Hollande», même si, de fait, cette position est défendue depuis longtemps par la France.

François Hollande, dès son premier voyage en Afrique en octobre 2012, l’a énoncée ainsi, dans son discours de Dakar: «C’est vous, les Africains, qui aurez la responsabilité de décider ce qui est bon pour votre propre sécurité. Le futur de l’Afrique se bâtira par le renforcement de la capacité des Africains à gérer eux-mêmes les crises que le continent traverse.» Cette position a été réaffirmée à Addis-Abeba, en mai 2013, lors du 50e anniversaire de l’Union africaine: «Je considère que ce sont les Africains qui doivent assurer eux-mêmes la sécurité de l’Afrique. Mais la France est prête à travailler avec [eux], pour renforcer les capacités d’action, pour doter les armées africaines des moyens de répondre à toutes les agressions.» «Cela ne correspond pas à une posture, mais à une volonté politique majeure», affirme Paul Jean-Ortiz, le conseiller diplomatique du président.

Mais, sur le terrain, comme le montrent les exemples malien et centrafricain, cette doctrine reste difficile à mettre en œuvre, et la France se retrouve alors en première ligne. «Beaucoup de pays africains ne disposent pas des forces [armées] nécessaires», affirmait hier soir Laurent Fabius, le patron du Quai d’Orsay. En RCA, la Misca (Mission internationale de soutien à la Centrafrique) n’est d’ailleurs pas parvenue à empêcher l’engrenage de la violence. En dernier ressort, la France apparaît donc souvent comme la seule capable d’intervenir en urgence. Elle dispose toujours de nombreuses forces pré-positionnées: 940 hommes au Gabon, 350 au Sénégal, 2000 à Djibouti, 450 en Côte d’Ivoire, 250 en temps normal en Centrafrique, selon des chiffres de l’AFP.

D’un côté la parole, de l’autre les actes, n’est-ce pas contradictoire? «La France essaie d’intervenir en deuxième ligne, rétorque Aline Leboeuf, chercheuse à l’Institut français des relations internationales (IFRI). D’abord, elle constate qu’une intervention est nécessaire dans un pays, par exemple au Mali ou en Centrafrique, ensuite elle interpelle la communauté internationale pour que d’autres acteurs agissent. Mais, comme cela ne marche pas, elle y va elle-même. En ce sens, elle est prisonnière de son activisme.»

Aline Leboeuf pointe aussi ce paradoxe: «D’un côté, la France est prise dans l’image qu’elle possède d’elle-même et du rôle qu’elle tient à jouer pour protéger les populations civiles et maintenir la paix. De l’autre, elle est consciente que ses capacités d’intervention diminuent, notamment en raison de la baisse du budget de la défense. La question est donc la suivante: comment sortir de la quadrature du cercle? L’une des réponses possibles, c’est justement la stratégie dite du lead from behind , qu’elle a reprise des Etats-Unis. Mener depuis l’arrière, c’est ce que l’Amérique a fait en Libye.»

Second paradoxe: pour ne pas être accusée d’ingérence et détourner les risques d’enlisement, la France promet des interventions de courte durée. A propos de l’opération «Sangaris», Jean-Yves Le Drian, le ministre de la Défense, a assuré au Dauphiné : «Nous mobilisons un millier d’hommes pour une période de montée en puissance de quatre à six mois, puis de retrait progressif de quatre à six mois.» Or, dans les faits, comme la situation malienne le rappelle, quelques mois d’engagement ne sont pas suffisants. «Les situations sont souvent très complexes, avec pour enjeu central la reconstruction de l’Etat. Pour cela, les ressources militaires ne suffisent pas, cela coûte cher et la France ne peut le faire seule», poursuit Aline Leboeuf.

Spécialiste de la Centrafrique au Centre d’études et de recherche internationale de Sciences Po (CERI), Roland Marchal fait le même constat: «S’il s’agit uniquement d’intervenir militairement, cela ne peut pas réussir. Il faut, parallèlement, une intervention politique. Et ceci vaut en Centrafrique comme ailleurs.»

Dans l’immédiat, pour tenter de sortir de la contradiction dans le champ sécuritaire, l’un des thèmes en discussion au sommet de l’Elysée, qui devrait figurer dans la déclaration finale, sera la création d’une force africaine de réaction rapide en cas de crise. Paris contribuerait à la mettre en place et à la former, notamment sur les questions de planification d’opérations, de commandement et de renseignement.

«La France interpelle d’autres nations pour agir. Mais, comme cela ne marche pas,elle y va elle-même»