Les deux Rwandais sont également poursuivis en France pour «complicité de génocide et de crimes contre l'humanité» et sous contrôle judiciaire depuis 1999, dans le cadre d'une procédure instruite par la juge parisienne Fabienne Pous, longtemps entravée par les autorités françaises relayées par le Ministère de la justice et le Parquet.
Le père Wenceslas Munyeshyaka, 49 ans, condamné en 2007 par contumace à la réclusion à perpétuité par un tribunal rwandais, officie à Gisors comme «prêtre-coopérateur» depuis 2001 et garde la confiance de l'Eglise, en particulier du diocèse d'Evreux et des Pères blancs qui ont usé de leur influence pour lui obtenir l'asile politique en France. Treize ans après les faits, le prêtre rwandais nie toute implication, tandis que la procédure s'éternise en longueur, au risque de compromettre la tenue d'un procès. «A l'issue de l'instruction, le peuple français se rendra compte qu'il n'a pas accueilli un génocidaire mais un défenseur des libertés. Je le prouverai comme un et un font deux», a-t-il lancé mercredi derrière le box.
Le rôle très controversé joué par cet ancien vicaire de la paroisse de la Sainte-Famille à Kigali, entre le 6 avril et le 4 juillet 1994, reste à élucider devant la justice. Seul prêtre à officier dans ce vaste ensemble de bâtiments qui avait accueilli des milliers de personnes, des Tutsis et des Hutus espérant échapper à la mort promise par les milices Interahamwe (extrémistes hutus), il se décrit lui-même comme un homme courageux qui s'est opposé pendant trois mois à plusieurs opérations de liquidation et a sauvé des vies. De fait, la plupart des femmes réfugiées dans l'enceinte de la Sainte-Famille ont été épargnées. Mais de nombreux témoins ont raconté comment ce jeune prêtre, alors âgé de 36 ans, en gilet pare-balles et pistolet à la ceinture, a ouvertement collaboré avec les militaires, gendarmes et miliciens hutus pour faciliter leur entreprise d'extermination des hommes et jeunes gens d'origine tutsie. D'autres l'ont accusé d'avoir forcé un grand nombre de femmes et jeunes filles à avoir avec lui des rapports sexuels en échange de sa protection et de leur évacuation.
Rose Rwanga, un des principaux témoins de l'accusation, aujourd'hui âgée de 60 ans et résidente au Canada depuis deux ans et demi, garde un souvenir très précis de «l'abbé Munyeshyaka». Elle avait trouvé refuge à la Sainte-Famille le 22 avril 1994 avec sa fille Hyacinthe, après que des miliciens ont enlevé et assassiné son mari Charles Rwanga et leurs deux fils au CELA (Centre de langues des Pères blancs) où ils s'étaient réfugiés depuis le 9 avril.
Le 17 juin, Hyacinthe Rwanga, 20 ans, est abattue par des miliciens après avoir vainement supplié le Ppère Wenceslas Munyeshyaka de la protéger. Le souvenir de cette journée tragique reste gravé à jamais dans la mémoire de sa mère. «Le 17 juin 1994, l'abbé Wenceslas Munyeshyaka est venu tôt le matin nous dire que les Inkotanyi (ndlr: soldats du Front patriotique rwandais, FPR) avaient emporté les Tutsis et tué les Hutus réfugiés au Centre Saint-Paul et qu'il fallait nous attendre à des représailles des Interahamwe (ndlr: miliciens hutus) contre les Tutsis réfugiés à la Sainte-Famille. Des filles ont demandé à être cachées parce qu'elles avaient peur d'être violées. J'ai dit à Hyacinthe d'aller demander à Monsieur l'abbé Munyeshyaka qu'il la cache. Je l'ai accompagnée jusqu'à l'escalier qui menait à son bureau. Elle est entrée, elle l'a supplié de la cacher et elle est revenue en pleurant. Ensuite, j'ai dit à Wenceslas: «Cachez ma fille, c'est le seul enfant qui me reste!» Il a refusé en me disant que cela irait, sans m'adresser un regard.»
«Deux heures après, vers 10 heures, poursuit Rose Rwanga, les miliciens sont venus et ont tué entre 70 et 100 hommes et jeunes gens tutsis. Ils ont ensuite découvert ma fille, cachée dans le placard d'un bureau près de l'église. Un milicien lui a dit qu'ils allaient l'emmener avec eux. Ma fille a crié: «Non, je n'irais pas. Je reste ici et je préfère être tuée comme les hommes.» Le milicien lui a tiré une balle dans la tête et la poitrine et elle s'est écroulée à mes pieds. Je suis restée avec le cadavre de ma fille pendant deux jours. Wenceslas Munyeshyaka est venu pour me dire: «C'est comme ça, même des évêques sont morts. C'est la faute de ton armée (ndlr: le FPR).»
Rose Rwanga affirme que si le prêtre a refusé de protéger sa fille, c'est parce qu'elle avait refusé ses avances. «Je pense qu'il s'est passé quelque chose de très grave entre lui et Hyacinthe. Beaucoup de femmes et de jeunes filles ont été sauvées parce que Monsieur l'abbé les emmenait à l'hôtel des Mille Collines où elles étaient mises en priorité sur les listes d'évacuation de l'ONU. Souvent, ces femmes avaient droit à un traitement spécial refusé aux autres: nourriture, eau et logement. Pourquoi a-t-il refusé de protéger Hyacinthe? Lui seul peut donner la raison de cette différence de traitement. Ma fille me disait qu'elle avait des problèmes avec l'abbé. En fait, il lui a fait des avances et elle a refusé. Et c'est pour cela que Wenceslas a refusé de la cacher.»
Treize ans après, Rose Rwanga ne souhaite qu'une seule chose, que Wenceslas Munyeshyaka réponde enfin de ses actes devant la justice. «Je sais que seul Dieu condamne mais quand même, qu'il s'explique, qu'il donne son témoignage... Je demande au tribunal de le juger comme les autres, puisque c'était lui le chef à l'église de la Sainte-Famille, c'est tout. Et si ma santé me le permet, je suis prête à venir témoigner.»