Dimanche 1er novembre, Francesca Immacolata Chaouqui, 33 ans, s’est rendue à la convocation de la gendarmerie du Vatican. Soupçonnée, ainsi que Mgr Lucio Angel Vallejo Balda, d’être à l’origine des fuites de documents confidentiels qui ont abreuvé deux livres consacrés aux finances du Saint-Siège, Le Chemin de croix de Gianluigi Nuzzi (Flammarion, 330 pages, 20 euros) et Avarizia d’Emiliano Fittipaldi (Feltrinelli, non traduit), elle en est ressortie libre le lendemain après avoir passé une nuit, dit-elle, «dans un couvent». En revanche, le prélat est toujours sous bonne garde au Vatican.

De la Calabre au Saint-Siège

«C’est lui qui a tout fait», a-t-elle expliqué dans le quotidien La Stampa de mardi, en chargeant son complice présumé. Le même jour, après un nouvel interrogatoire, elle a déclaré, sur Twitter: «Il n’y a rien que j’aie aimé et défendu davantage que l’Eglise et le pape. Même pas ma dignité.»

La nomination, en  2013, de Francesca Chaouqui au sein de la Cosea, la commission de huit membres mise en place par François pour expertiser la situation financière du Vatican, avait étonné. D’elle, on ne connaissait que quelques lignes d’un curriculum vitae (études de droit, travail dans de grands cabinets d’avocats à Rome et lobbyiste) et des photos: sur l’une d’elles, postée sur son compte Facebook, elle apparaît les cheveux dénoués comme une vamp, à demi-nue dans les bras de son mari, un informaticien ayant travaillé pour le Vatican, lequel lui mordille l’épaule.

«Comment garder un mari»

Comment passe-t-on de San Sosti, le petit village de Calabre où elle est née, au Saint-Siège? Francesca Chaouqui a expliqué ce parcours express dans un entretien accordé en septembre 2013 au magazine L’Espresso. «Mon père nous a abandonnées à ma naissance, raconte-t-elle. J’ai été élevée par ma mère, ma grand-mère et une tante souffrant de la poliomyélite, ainsi que par le prêtre du village qui m’a expliqué ce qu’est la vie.» Montée à Rome, elle tente la faculté de médecine et s’inscrit finalement en droit. «Je réussissais à vivre assez bien en faisant le «nègre» pour les mémoires des autres étudiants», avoue-t-elle sans fard. Le sien porte sur «la médiatisation des procès».

Elle travaille également pour un journal, Roma in, aujourd’hui disparu. A l’occasion d’un entretien, elle rencontre l’homme politique Giulio Andreotti, qui la recommande à un ténor du barreau de la Ville éternelle. «J’avais 22 ans. J’ai été un peu adoptée.» Une autre rencontre, celle de la comtesse Marisa Pinto Olori del Poggio, lui ouvre les portes des salons les plus fermés de la capitale. «Elle m’a tout appris: comment dresser une table, comment recevoir, comment garder un mari.» Courtisane, elle se flatte de connaître de hauts dirigeants d’entreprises publiques, des hommes d’affaires, des cardinaux en cour à la Curie, les parents de Matteo Renzi et… le journaliste Gianluigi Nuzzi.

Et le Vatican? «Un jour, raconte-t-elle au magazine, Mgr Lucio Vallejo Balda, que je connaissais, m’a appelée: «Tu pourrais être candidate pour entrer au comité d’enquête sur les dicastères du Vatican. Envoie-moi ton CV.» Balda est le meilleur économiste que l’Eglise n’ait jamais eu!» «Pourquoi ai-je été choisie?», feint-elle de se demander. «C’est le résultat de rencontres et aussi le fruit de mon travail.» La jeune femme précise qu’elle est «spirituellement très proche de l’Opus Dei», une prélature qui s’est beaucoup investie dans le domaine de la communication du clergé. Elle souligne également son appartenance au club de réflexion Vedro', fondé par Enrico Letta, un ancien président du conseil italien. «C’est ici, s’enthousiasme-t-elle, que passe le meilleur du pouvoir: les patrons, le gotha du journalisme, les as des -relations publiques.»

Documents confidentiels

Ses premiers pas de l’autre côté du Tibre sont hasardeux. Adepte imprudente de Twitter, elle assure que le pape Benoît XVI «souffre d’une leucémie» et que son numéro deux, Tarcisio Bertone, est «corrompu». «Mon compte a été hacké», se défend-elle. Le Saint-Siège passe l’éponge.

En revanche, il tique un peu lorsqu’elle organise avec Mgr Balda une réception mondaine de 200 personnes sur la terrasse de la Préfecture des affaires économiques à l’occasion de la double canonisation de Jean Paul II et Jean XXIII, en avril  2014. Francesca Immacolata Chaouqui se vantait «de convaincre les milieux d’affaires que l’atmosphère a changé au Vatican». Toute fière, elle concluait ainsi son entretien: «Comme tous les membres de la commission, j’ai accès aux documents les plus confidentiels.»