Les agents des services de renseignement français opérant à partir du Kurdistan irakien les traquaient sans relâche. C’est à proximité d’Al-Baghouz, une localité située près de l’Euphrate, dans la zone syrienne frontalière de l’Irak toujours contrôlée par l’Etat islamique (EI, Daech), que les frères Fabien Clain, 41 ans, et Jean-Michel Clain, 38 ans, ont été visés mercredi par une frappe aérienne.

Le premier, dont la mort évoquée par le Ministère français de la défense n’a pas encore été confirmée, avait prêté sa voix à la revendication par l’EI des attentats commis à Paris le 13 novembre 2015 (130 morts). Le second, radicalisé comme son aîné dans le sud-ouest de la France via la «filière d’Artigat» (Ariège) à la fin des années 1990, aurait été grièvement blessé. Il était l’un des prêcheurs de Daech et psalmodiait les chants religieux sur l’enregistrement de la funeste revendication, diffusée sur internet en français et en anglais. «Huit frères portant des ceintures d’explosifs et des fusils d’assaut ont pris pour cibles des endroits choisis minutieusement à l’avance au cœur de la capitale française», avait énoncé Fabien Clain le 14 novembre 2015 au micro d’un enregistreur professionnel acheté à Toulouse quelques mois plus tôt, grâce à une carte de crédit de sa mère.

Un mouvement de radicalisation familial

La fratrie Clain est emblématique de ce mouvement de radicalisation familial et quasi clanique – souvent autour d’un gourou ou imam autoproclamé – intervenu en France dans les milieux issus de l’immigration, alors que la guerre civile battait son plein en Algérie entre les militaires et les groupes islamiques armés. Arrivés de l’île de la Réunion (d’où les parents, évangéliques, sont originaires), les deux frères et leurs deux sœurs vivent d’abord dans l’Orne où leur mère donne des cours de catéchisme, avant de s’installer à Toulouse, dans le quartier du Mirail où vit la famille du terroriste Mohamed Merah (auteur des attentats de mars 2012, tué par la police) et de son frère Abdelkader (condamné à 20 ans de prison en 2017).

Opposés à leurs parents, les deux frères lorgnent vers l’islam, alors perçu, dans ce quartier populaire, comme le rempart à la délinquance ambiante. C’est lors de lectures salafistes qu’ils rencontrent celui qui deviendra leur mentor: l’ex-réfugié syrien Olivier Corel, naturalisé Français dans les années 1980 et séduit par la figure d’Oussama ben Laden. Son charisme attire, dans sa ferme d’Artigat (Ariège), de nombreux jeunes ayant soif d’identité, ulcérés par les horreurs en Algérie, par les liens entre Paris et Alger puis par la répression par Israël de la deuxième Intifada des Palestiniens.

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Une traînée de sang

La conversion musulmane des frères Clain s’accompagne de celle de leurs deux sœurs, qui épouseront ensuite des djihadistes (dont Sabri Essid, mort en février 2018) et les accompagneront au Levant. La force de persuasion de Fabien – «frère Omar» – et sa volonté de combattre feront dès lors des ravages. D’abord présent dans les mosquées radicales du Sud-Ouest, puis en Belgique et en région parisienne, Fabien Clain part aussi étudier au Caire. A son retour, il tisse la toile de son réseau qui le conduit à être interpellé et condamné à 5 ans de prison en 2009, suite au démantèlement d’une filière de départ de djihadistes vers l’Irak en 2007 et 2008.

Problème: sa détention, à une époque où les services pénitentiaires sont dépassés par la radicalisation, lui offre une occasion rêvée de prosélytisme. Trois ans séparent ensuite sa sortie de prison sous contrôle judiciaire en mars 2012 (le mois des attentats de Merah) de son départ vers la Syrie, début 2015, muni de l’enregistreur. «Il s’emploie à mettre en place les bases, les conditions personnelles permettant aux candidats djihadistes de basculer dans l’opérationnel le moment venu», avaient noté dans son dossier les experts psychiatres.

L’itinéraire des frères Clain aura été une traînée de sang. Outre Mohamed Merah et Sabri Essid, les deux hommes sont soupçonnés d’avoir influencé plusieurs dijhadistes de la région parisienne. Parmi eux figurent Sid Ahmed Glam, arrêté en avril 2015 à Villejuif alors qu’il s’apprêtait, semble-t-il, à commettre des attentats contre une église, et Thomas Barnouin, arrêté en janvier 2018 au Kurdistan syrien, dont la confession recueillie par les Kurdes a été diffusée sur plusieurs chaînes de télévision.

«Le terme d'une réflexion»

Les frères Clain ont sans doute aussi croisé la route de Mehdi Nemmouche, actuellement jugé à Bruxelles pour la tuerie du Musée juif de mai 2014, et celle du Normand Maxime Hauchard, l’un des bourreaux de Daech, présumé mort au printemps 2018. L’une de leurs sœurs est pour sa part actuellement incarcérée, après son arrestation à sa descente d’avion à l’aéroport parisien de Roissy en septembre 2016. Une quarantaine de djihadistes français adultes (hommes et femmes) sont détenus en Syrie et en Irak et près de 250 autres (incluant de nombreux enfants) seraient, selon Le Monde, dans les ultimes sanctuaires de l’Etat islamique.

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Conclusion de Guillaume Monod, auteur de En prison, paroles de djihadistes (édit. Gallimard) sur le cas des frères Clain: «Il prouve que le djihad n’était pas une absence de connaissances ou d’intelligence, mais bien le terme d’une réflexion qui a débuté, poussé et mûri, puis s’est arrêtée, figée, pour laisser libre cours au passage à l’acte mortifère.»