Mardi, en plein cœur de Gizeh, un essaim de quelques centaines de personnes, photos de Mohamed Morsi à bout de bras, vient de prendre ses quartiers devant l’Université du Caire. A l’appel du muezzin de la mi-journée, un silence solennel s’abat sur la foule. Au-dessus des têtes, on reconnaît le drapeau égyptien, le même étendard brandi par les anti-Morsi sur la place Tahrir, et que ses partisans ont repris à leur compte pour défier les deux ultimatums adressés par l’armée et par l’opposition.

La mobilisation de la rue, une des dernières cartes du raïs islamiste? En aparté, une femme en foulard coloré promet que «d’ici à la fin d’après-midi, le nombre parlera à notre place». Elle s’appelle Nelly Abu Allaheddin et se présente comme une «supporter de la légitimité des urnes». «Imaginez qu’en France, la droite décide de faire tomber François Hollande, après qu’il a remporté l’élection avec 51% des voix! C’est un acte de trahison. Morsi l’a emporté aux élections. Il faut respecter le choix de la majorité», insiste-t-elle, en criant au «coup d’Etat».

Quelques heures plus tôt, aux environs de 2 heures du matin, c’est par la voie d’un communiqué que le chef d’Etat, certes élu démocratiquement mais accusé de dérive autoritaire, a fini par sortir de sa réserve en affirmant que «l’Egypte ne permettra absolument aucun retour en arrière, quelles que soient les circonstances», en se posant en garant de la «réconciliation nationale» et de la «paix sociale». Une fin de non-recevoir qui aura mis du temps à venir. «Les Frères musulmans sont visiblement choqués par ce qui leur arrive. Ils n’avaient pas pris au sérieux la campagne «Tamarrod» [ndlr: rébellion, en arabe] lancée par l’opposition. Ils ont été pris de cours. Ils ont donc mis du temps à formuler une réponse», observe Stéphane Lacroix, spécialiste de l’islam politique.

D’après lui, les membres de la confrérie n’ont aujourd’hui d’autre stratégie que «la mobilisation de la rue». Mais, dit-il, «c’est une démonstration de force risquée car, en face, les Egyptiens sont de plus en plus nombreux à rallier la place Tahrir et le palais présidentiel». Un pari d’autant plus risqué que celui que ses détracteurs surnomment le «mouton», fustigeant sa dépendance des Frères musulmans, est de plus en plus seul à la tête du pays. Dans la matinée, son ministre des Affaires étrangères, Mohamed Kamel Amr, a confirmé son retrait du gouvernement, portant à cinq le nombre de ministres démissionnaires. Dans la foulée, au moins deux porte-parole de la présidence et du gouvernement ont annoncé eux aussi leur départ. Autre revers du président Morsi, le procureur général qu’il avait démis de ses fonctions a été réintégré dans ses fonctions par la justice égyptienne.

En province, la mobilisation ­anti-Morsi continue également à enfler. Le site du journal Al-Ahram rapporte que dans la ville de Damiette, un cortège de partisans du président a été repoussé par des habitants qui, de la fenêtre de leurs immeubles, les ont aspergés d’eau et d’ordures.

Pendant ce temps, le Front du salut national, la principale coalition de l’opposition, a exprimé sa confiance envers l’avertissement que l’armée a adressé au président, et qui expire ce mercredi. «Le FSN est déterminé, depuis sa formation le 22 novembre 2012, à construire un Etat démocratique, civil et moderne […] Nous faisons confiance à la déclaration de l’armée, reflétée dans son communiqué d’hier [lundi], selon lequel elle ne veut pas s’investir en politique ou jouer un rôle politique», précise son communiqué. La presse libérale, elle, titre déjà sur «les quarante-huit dernières heures du régime des Frères», ou encore «l’Egypte sans Morsi»,

Nerveux, les partisans du président ne montrent pourtant aucun signe de résignation face à la pression de l’opposition et de l’armée. «Pour nous, cet ultimatum de quarante-huit heures n’a aucun sens. Le président a été élu par les urnes, et ne renoncera à son pouvoir qu’à la fin de son mandat et l’organisation de futures élections», prévient Hossam Tageddine, le chef du bureau politique de la confrérie. «Il n’y a qu’une issue à la crise: le dialogue», insiste pour sa part Tarek el-Morsi, un des porte-parole du Parti liberté et justice, la branche politique des Frères musulmans, en niant avoir ignoré, des mois durant, les demandes de l’opposition, notamment pour une révision de la Constitution.

Contacté par téléphone, Gehad el-Haddad, un autre représentant des Frères, qui affirme «ne pas craindre de se retrouver à nouveau en prison», prévient: «Si les militaires en viennent à se déployer dans les rues, nous irons nous placer devant les tanks!» Une position de défiance qui, selon Shadi Hamid, du Centre Brookings de Doha, constitue la deuxième stratégie des Frères. «C’est une tactique visant à faire monter les enchères avec les militaires. L’armée veut faire un coup? Alors, elle devra le mener dans son intégralité. La confrérie n’est aucunement prête à l’aider ou à lui faciliter la tâche», observe-t-il.

«L’Egypte ne permettra absolument aucun retour en arrière, quelles que soientles circonstances»