«La Commission européenne a vite vu que les projets d'infrastructure n'apportent aucun emploi à long terme, explique le travailliste Rhodri Morgan, chef du gouvernement gallois. C'est pourquoi les fonds européens (ndlr: quelque 2,2 milliards d'euros par an, dont 1,8 milliard pour les zones d'objectif 1) sont tous axés sur la transformation de l'économie vers la valeur ajoutée, et sur l'amélioration de la qualification de la main-d'œuvre.» A mi-chemin du programme européen (2000-2006), le bilan est mitigé, selon un récent rapport: seuls 15 000 des 85 000 emplois visés auraient été créés, de surcroît avant tout dans la fonction publique.
Après une vague de disparition d'emplois, la politique est à la spécialisation par poches géographiques: technologies numériques (défense avec General Dynamics ou Cogent, civil avec Sony ou LG) et aéronautique (les ailes d'Airbus sont fabriquées) sont deux exemples de reconversion réussie. Et le gouvernement régional multiplie les pôles de transfert de technologie.
«Il y a trente ans, le pays de Galles a eu raison de se vendre comme l'endroit le meilleur marché d'Europe, attirant les usines d'assemblage des géants de l'électroménager, explique Rhodri Morgan. Aujourd'hui, les Sony, Panasonic et autre Hitachi partent pour les pays de l'élargissement. Nous devons nous réinventer à nouveau, dans la recherche et le développement et la complexité industrielle. Paradoxalement, l'intégration de ces nouveaux pays européens nous y aide.» Des sous-traitants gallois partent à la conquête des marchés baltiques, tandis que le gouvernement régional vient de «louer» un de ses meilleurs fonctionnaires à la Pologne pour l'aider à structurer ses fonds européens.
Mais l'espoir est aussi politique. Souvent, Cardiff regarde vers Bruxelles plus que vers Londres, où règne encore un bailli (le secrétaire d'Etat au pays de Galles, actuellement Peter Hain) qui tient les cordons de la Bourse – Cardiff, qui ne lève pas l'impôt, reçoit 5% du budget national, pour 4% de la population mais, note Rhodri Morgan, 6% des besoins. Minorité méprisée par Londres, les Gallois, punis de n'avoir accepté la dévolution que du bout des lèvres en 1998 après l'avoir refusée une première fois en 1979, n'ont eu droit qu'à une fraction des pouvoirs – nettement moindres que ceux d'un canton suisse – accordés aux Ecossais.
Alors les Gallois font valoir leurs différences là où ils peuvent: pas question ici de semi-privatisation hospitalière, ni de spécialisation des écoles, car la notion de concurrence dans le service public «ne marche pas à notre échelle», explique Christine Chapman, une des trente femmes (sur soixante députés, une autre particularité galloise) membres de l'Assemblée nationale. Un cénacle où l'on serait très favorable à l'adoption rapide de l'euro. De manière générale, avec un Labour majoritaire nettement plus à gauche qu'en Angleterre (30 sièges), une opposition nationaliste de centre gauche (12 sièges), des libéraux-démocrates fervents fédéralistes (6 sièges), un indépendant de gauche et des conservateurs plutôt centristes (11 sièges), les Gallois sont loin d'embrasser les thèses de Westminster. Il n'y a pas que le bilinguisme (depuis 1993, le gallois a un statut paritaire avec l'anglais) qui singularise le pays du dragon rouge.
Pourtant, être une nation minoritaire au sein d'un des grands Etats de l'Union a ses avantages: le pays de Galles a par exemple pu négocier directement avec Bruxelles sa gestion future de l'enveloppe des paiements uniques que prépare la réforme de la politique agricole commune. Un point cardinal: aujourd'hui, la PAC déverse 240 millions de livres par an à l'agriculture galloise, à 90% de l'élevage. Et s'ils ne représentent plus qu'à peine 2% du PIB, les fermiers jouent encore un rôle fondamental dans la société galloise.
Mais au-delà des chiffres et de la réalité économique, l'Europe élargie représente aussi un changement psychologique pour le pays de Galles: «Avec 25 membres, l'Union va radicalement changer de visage, confie Leuan Wyn Jones, le leader de Plaid Cymru, le parti nationaliste gallois. La taille moyenne des Etats membres va se rapprocher de la nôtre (près de 3 millions d'habitants, 20 700 km2). Nous allons pouvoir partager nos expériences linguistiques et économiques.»
D'ici à 2006, Cardiff va négocier dur avec Bruxelles pour prolonger la distribution de fonds d'aide, au moins de transition, jusqu'à l'horizon 2009. Quel que soit le résultat, l'élargissement est déjà perçu comme une victoire: «Parfois, j'ai l'impression que nous existons davantage sur la carte européenne que sur celle de la Grande-Bretagne», affirme Sandra Mewies, députée travailliste et présidente de la Commission des affaires européennes de l'assemblée galloise.
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