Des violences sporadiques se poursuivaient lundi matin à Bangkok, où les «chemises rouges» ont perdu leur «général rebelle», Seh Daeng, décédé quatre jours après avoir été grièvement blessé dans leur camp retranché.

Le général renégat «est mort ce matin», ont annoncé les services de secours. Son décès s’ajoute aux 35 personnes tuées au cours des scènes de guérilla urbaine qui se sont succédées tout le week-end, après que l’armée ait lancé une vaste opération pour isoler les manifestants antigouvernementaux, qui réclament la démission du Premier ministre Abhisit Vejjajiva.

Agé de 58 ans, Seh Daeng, de son vrai nom Khattiya Sawasdipol, avait reçu une balle en pleine tête alors qu’il était interrogé jeudi soir par un journaliste dans le quartier occupé par les «chemises rouges» depuis début avril.

Peu après son décès, les milliers de manifestants présents dans la «zone rouge» ont respecté une minute de silence pour rendre hommage à celui qui y supervisait les opérations de sécurité. «C’était un général mais il a combattu pour la démocratie, à nos côtés», a déclaré l’un de leurs leaders, Jatuporn Prompan.

Ce personnage haut en couleur jouissait d’une forte popularité parmi les «rouges», mais certains chefs du mouvement se méfiaient de son jusqu’au boutisme et de ses méthodes.

Le pouvoir, qui a démenti toute implication dans son décès, le considérait pour sa part comme un traître et l’accusait d’être derrière des dizaines de jets de grenades, à Bangkok, depuis des semaines.

Ultimatum à 10h00, heure suisse

Lundi, la capitale enregistrait heure après heure le bilan de très violents affrontements au cours desquels un soldat de l’armée de l’air a été tué. Il est le premier militaire à tomber dans ces combats depuis vendredi. Six étrangers figurent parmi les blessés, selon les services de secours. Les autorités ont donné jusqu’à 15H00 lundi (08H00 GMT) aux manifestants volontaires et non armés, principalement les enfants, les femmes et les personnes âgées, pour évacuer la «zone rouge».

«Le gouvernement aidera ces volontaires à organiser leur retour chez eux mais ceux qui resteront violeront la loi et seront passibles de deux ans de prison», ont-elles prévenu dans un communiqué. «Ils risquent aussi leur vie en raison des attaques terroristes sur le site».

Le gouvernement, qui a estimé à 6.000 le nombre de manifestants ce week-end, n’a pas précisé quelles actions il entendait engager après cette échéance.

L’un des leaders «rouges», Weng Tojirakarn, a exhorté les manifestants à «garder le moral», estimant qu’ils allaient «bientôt gagner». «Le gouvernement est décidé à tuer ceux qui luttent à main nue. Abhisit veut davantage de morts». Les plus déterminés se disent disposés à «lutter jusqu’à la mort», après avoir érigé des barricades de barbelés, de pneus arrosés de kérosène et de bambous autour de la zone de plusieurs kilomètres carrés. La vie y est cependant rendue difficile par l’absence d’approvisionnements en eau, électricité et nourriture, coupés depuis vendredi par le pouvoir.

Appel aux Nations unies refusé

Dimanche, des leaders «rouges» avaient demandé que commencent «des discussions avec les Nations unies comme médiateur». Le gouvernement a immédiatement refusé. L’un d’eux avait aussi lancé un appel solennel au roi Bhumibol Adulyadej, 82 ans, qu’il a présenté comme le «seul espoir» pour apaiser la situation. Hospitalisé depuis septembre, le monarque ne s’est jamais publiquement exprimé sur la crise.

L’activité était très réduite lundi à Bangkok, où les autorités ont décrété deux jours fériés, fermé les écoles publiques et stoppé les transports collectifs, dont le métro aérien.

Les dernières violences portent le bilan à 66 morts et environ 1.700 blessés depuis le début de la crise à la mi-mars, selon les bilans officiels.

Le général renégat Seh Daeng, décédé lundi des suites d’une blessure par balle à la tête, adorait susciter sourires charmés et gestes de respect, mais le héros et désormais martyr des «chemises rouges» thaïlandaises était considéré par l’armée comme un traître.

Mort à l’âge de 58 ans, Khattiya Sawasdipol - alias Seh Daeng - dirigeait la sécurité du camp retranché des manifestants antigouvernementaux. Il a été visé par un tir d’origine inconnue jeudi soir, alors qu’il accordait une interview à des journalistes étrangers.

Dépeint par le pouvoir comme l’un des principaux adversaires de la réconciliation, il se jugeait lui-même indispensable. «C’est important que je sois là», avait-il déclaré à l’AFP deux jours avant sa mort. «Tout le monde est là parce que Seh Daeng est là».

Lundi, les premiers hommages témoignaient du respect dû à son rang. «Seh Daeng a vécu sa vie pleinement, il était notre frère. Nous saluons son courage ainsi que celui de nos héros», morts dans les combats, a déclaré Jatuporn Prompan, un des cadres «rouges».

Ce franc-tireur, provocateur et imprévisible, était aussi considéré comme un allié indéfectible de Thaksin Shinawatra, l’ex-Premier ministre en exil renversé en 2006 par un putsch, et dont se réclament de nombreux manifestants.

Vêtu de sa tenue camouflage et de son chapeau à rebords décoré de goupilles de grenades, il posait avec délectation pour des photos et vendait des livres proclamant ses exploits.

Et il inspectait tous les jours les barricades de bambous, de pneus inflammables et de barbelés tranchants dressées contre un éventuel coup de force militaire.

De quoi retrouver de la fierté après sa disgrâce au sein de l’armée qui date de 2008, lorsqu’il avait publiquement critiqué sa hiérarchie. Sanction immédiate, avec une mutation comme professeur d’aérobic sur un marché...

»Tout le monde s’est moqué de moi. On ne demande pas à un guerrier de ma trempe de faire des choses aussi stupides que ça», protestait-il. «Vous avez vu le film +Braveheart+ ? Mel Gibson est comme moi», ajoutait-il, en hommage au guerrier du film d’aventure trahi par l’aristocratie écossaise.

Etrangement, Seh Daeng n’était que suspendu. La police avait ouvert une enquête à son encontre en janvier après un attentat contre le quartier-général de l’état-major et la découverte à son domicile de grenades, d’un pistolet et de munitions.

Les autorités l’accusait aussi d’être derrière des dizaines de jets de grenades, à Bangkok, depuis des semaines. D’autres assurent qu’il était le chef des mystérieux hommes en noir, armés de fusils d’assaut, qui ont participé aux violences du 10 avril (25 morts, plus de 800 blessés).

»Même si ces bouffonneries sont parfois exagérées, je ne pense pas qu’on puisse le considérer seulement comme un cinglé», estimait avant sa mort Paul Chambers, de l’université allemande d’Heidelberg.

Un diplomate étranger soulignait combien Seh Daeng s’était fait d’ennemis. Mais le pouvoir n’a cessé de nier toute implication dans l’attaque.

Récemment, une partie du mouvement «rouge» voulait s’en désolidariser. Seh Daeng avait pour sa part réclamé l’avènement d’une «seconde génération» de leaders, plus durs. «Les leaders +rouges+ trichent. Ils négocient en secret avec le gouvernement, et ils le font pour eux, pas pour ceux qui sont à la manifestation».

A la nuit tombante, couteau à la ceinture et bambou aiguisé planté dans le sol, le général «rouge» inspectait la garde, attitude martiale et rictus dédaigneux.

En connaisseur, il avait affirmé à l’AFP: «normalement, les soldats attaquent l’ennemi au crépuscule ou à l’aube». Il a été touché en tout début de soirée.