D’une main, l’Arabie saoudite mène une guerre impitoyable chez son voisin yéménite. De l’autre, elle soulage les souffrances causées par les combats. Le royaume a annoncé lundi une nouvelle tranche d’aide humanitaire d’un milliard de dollars. Son allié émirati qui l’épaule dans la lutte contre les rebelles houthistes, supposément soutenus par l’Iran, a promis 500 millions de dollars.

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Les forces armées saoudiennes sont désormais «à disposition» de cette cause humanitaire, a solennellement annoncé le colonel Turki Al-Maliki, le porte-parole de la coalition dirigée par Riyad. Un pont aérien est notamment prévu depuis l’Arabie saoudite vers la ville de Marib, paradoxalement l’une des rares restées à l’écart des combats.

Ports bloqués

Comble de la schizophrénie, Riyad a aussi promis de réhabiliter plusieurs ports pour faciliter l’acheminement des secours. Sur la mer Rouge, celui d’Hodeida, aux mains des houthistes mais crucial pour le ravitaillement du nord du Yémen, est toujours soumis à un contrôle très strict des bateaux de la coalition arabe. Il s’agit d’empêcher les livraisons d’armes aux rebelles. Les navires commerciaux et humanitaires entrent au compte-gouttes. Sur les marchés, les prix des denrées de base ont explosé et la majorité de la population n’y a plus accès. Avant la guerre, le Yémen importait 90% de ses denrées alimentaires.

Face à la famine qui menace et qui n’a rien à voir avec les éléments naturels, l’Arabie saoudite aligne les milliards. «Ces trois dernières années, le royaume a fourni 10,4 milliards de dollars au Yémen et à ses habitants», a précisé Abdullah bin Abdulaziz Al Rabeeah, le directeur de la fondation du roi Salman, le bras humanitaire du royaume.

En 2015, la mise en place de cette puissante fondation avait coïncidé avec l’intervention saoudienne au Yémen. La dynastie des Saoud venait à la rescousse du gouvernement yéménite chassé de la capitale Sanaa par les houthistes. Depuis, Riyad et ses alliés bombardent inlassablement les zones insurgées et soutiennent à bout de bras les forces loyalistes, qui peinent pourtant à regagner le terrain perdu.

«Pire crise humanitaire»

L’annonce de la fondation du roi Salman intervient au lendemain d’un appel de fonds des Nations unies pour financer leurs opérations au Yémen, qualifiée de «pire crise humanitaire au monde». L’ONU a besoin de près de 3 milliards de dollars pour 2018. Trois quarts de la population yéménite, soit 22 millions de personnes, ont besoin d’aide, toujours selon l’ONU.

L’Arabie saoudite laisse entendre qu’une partie des sommes promises seront reversées aux agences onusiennes. Alors que la création de la fondation du roi Salman visait justement à les contourner, afin de distribuer les millions saoudiens selon les priorités du royaume. L’Arabie saoudite vient, par exemple, de renflouer la banque centrale yéménite à hauteur de 2 milliards de dollars.

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L’an dernier, l’Arabie saoudite a donné 294 millions de dollars aux agences onusiennes, dont trois quarts pour le seul Yémen. A titre de comparaison, la pétromonarchie n’a consacré que 10% de cette somme aux appels de l’ONU pour la Syrie. A l’ONU, on assure que l’Arabie saoudite ne pose aucune condition à ses donations pour le Yémen. L’ONU ne se prive pas de dénoncer l’Arabie saoudite pour ses raids aériens qui ont fait des milliers de victimes civiles. Elle s’est montrée également critique en novembre dernier, quand la coalition avait imposé un blocus total sur le Yémen après un tir de missile houthiste sur Riyad.

«Se refaire une image»

Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) bénéficie aussi, quoique dans une proportion bien moindre, des fonds saoudiens. L’an dernier, l’organisation a signé avec l’Arabie saoudite un accord portant sur 10 millions de dollars pour financer ses opérations au Yémen. «L’Arabie saoudite est traitée comme n’importe quel donateur», assure une porte-parole du CICR. L’institution tente de diversifier ses Etats contributeurs, mais l’Arabie saoudite reste très loin des Etats-Unis de Donald Trump ou des Européens.

Cette politique d’acceptation des fonds d’un belligérant suscite toutefois un malaise dans les milieux humanitaires, même si personne ne souhaite laver son linge sale en public. «Les Nations unies n’ont peut-être pas le choix d’accepter des fonds d’un gouvernement. Mais il y a un vrai problème éthique. Les organisations humanitaires au Yémen voient chaque jour les conséquences catastrophiques de l’intervention saoudienne. Riyad tente de se refaire une image, mais faut-il se prêter à ce jeu?», interroge un humanitaire, qui était récemment en poste au Yémen. Le débat ne fait peut-être que commencer, alors que le conflit du Yémen s’éternise et que l’Arabie saoudite est davantage sous le feu des critiques.