Le génocide rwandais en procès à Paris

Rwanda Un ancien responsable des services secrets jugé pour complicité de génocide

Une première en France

Vingt ans après le génocide des Tutsis du Rwanda, la Cour d’assises de Paris s’apprête à ouvrir, ce mardi, le procès de Pascal Simbikangwa, accusé de complicité de génocide et complicité de crimes contre l’humanité commis entre avril et juillet 1994. Une première judiciaire en France – des procès ont déjà eu lieu en Allemagne, en Suède, aux Pays-Bas et en Belgique.

C’est face à six jurés parisiens et trois juges que cet ancien chef du service central de renseignement rwandais doit comparaître. Inconnu en France, il est pourtant «un tortionnaire réputé du Rwanda», assure Me Simon Foreman, avocat du Collectif des parties civiles pour le Rwanda. Mais à Paris, certains acteurs du procès peinent encore à ­retenir son nom, finissant par opter, en s’excusant, pour un bien familier «Pascal» ou «Safari», identité sous laquelle il avait été arrêté pour trafic de faux papiers à Mayotte, en octobre 2008. L’affaire lui avait valu 4 ans de prison et une demande d’extradition, infructueuse, de Kigali.

Le Rwanda l’accuse alors de génocide, mais la France décide de le juger, laissant aujourd’hui à six jurés le soin de se pencher sur des crimes commis il y a vingt ans, à 6000 km de Paris. Là-bas, à Kigali, et dans la ville frontière de Gisenyi, à l’ouest du pays, Pascal Simbikangwa aurait distribué des armes aux miliciens et supervisé les barrages tenus par les tueurs, où les Tutsis en fuite étaient identifiés puis exterminés à la machette et au gourdin. Le génocide rwandais a fait quelque 800 000 morts en cent jours. Cent jours durant lesquels Dieu a délaissé ces collines où, selon la légende, il aimait se coucher tous les soirs.

Des experts se présenteront à la barre pour permettre aux jurés de saisir quelques fragments de cette histoire rwandaise. Celle d’une décolonisation bancale quand, quittant le pays en 1962, la Belgique choisit de jouer une ethnie contre l’autre. L’histoire d’une dictature brutale, faisant émerger une rébellion formée de Tutsis exilés, le Front patriotique rwandais (FPR), qui rêve alors de conquérir le pouvoir et lance l’offensive sur le nord du pays à l’automne 1990, avant d’être repoussée par les pouvoir hutus soutenus par des forces françaises.

Les quatre années qui suivent sont une succession d’attentats et de «petits» massacres, comme une répétition du drame à venir. Et le 6 avril 1994, l’avion du chef de l’Etat, Juvénal Habyarimana, est abattu non loin de l’aéroport de Kigali. Une demi-heure plus tard, les premières barrières sont érigées dans la capitale par ses partisans et les premiers «ennemis», Tutsis et Hutus de l’opposition, sont éliminés. Trois mois et 800 000 morts plus tard, les génocidaires fuient au Zaïre (aujourd’hui République démocratique du Congo), entraînant des millions de civils dans leur fuite face à la rébellion qui s’empare du pouvoir.

Outre les experts, plusieurs témoins seront accueillis à Paris par des associations de soutien aux victimes. «C’est un choc, il fait froid, c’est Paris, explique Aurélia Devos, vice-procureure au Pôle crimes de guerre. Ils laissent leurs fermes, leurs boutiques, leurs familles. On ne peut pas les laisser prendre le métro tout seul et manger au McDo du coin», dit-elle.

Commis d’office, l’avocat de Pascal Simbikangwa, Fabrice Epstein, doute de leur crédibilité et juge «très compliqué de faire venir des témoins du Rwanda» pour déposer en faveur de son client. «Nous n’avons pas les moyens du procureur, qui a des accords avec Kigali», dit-il. Et son client «ne souhaite pas impliquer sa famille, qui réside au Rwanda et au Canada». Pascal Simbikangwa serait «très isolé» dans sa prison de Fresnes.

Cinq ONG se sont portées parties civiles contre lui. Depuis vingt ans, elles pistent les Rwandais réfugiés en Europe. Il n’y a cependant pas de rescapés pour batailler dans les rangs des parties civiles. Et les victimes directes de l’accusé sont inconnues. «Qui sont ces gens qui ont été tués sur les ordres de Pascal Simbikangwa? Je n’ai pas les noms, déplore Aurélia Devos. Quand il y a des dizaines, des centaines de victimes, l’individu disparaît. Dans ces dossiers, il y a tellement de victimes que la victime individuelle n’existe plus.»

Les gendarmes du Pôle crimes de guerre, mis sur pied début 2012, ont conduit plusieurs commissions rogatoires au Rwanda. Leur enquête s’est concentrée sur les actes de l’auteur. Un homme de 54 ans, à peine 34 ans à l’époque des faits, «intelligent, méticuleux et impulsif», selon une expertise psychologique, et «habité par la passion politique, avec le travail comme valeur centrale de son existence».

Pascal Simbikangwa a débuté sa carrière dans la gendarmerie, puis rejoint les Bérets rouges, la funeste garde présidentielle. En 1986, un accident de voiture le condamne au fauteuil roulant. Son «état paraplégique a constitué un véritable traumatisme et une importante blessure narcissique», selon le dossier. En 1988, il devient l’un des directeurs du renseignement rwandais, qui, selon l’accusé lui-même, sert à identifier «les ennemis», les complices de la rébellion du FPR. Dans le Rwanda d’alors, chaque Tutsi est considéré comme complice.

Voilà pour le CV institutionnel. Mais il y a l’histoire parallèle. Glaçante. Pascal Simbikangwa aurait participé aux «escadrons de la mort». Il nie. Il serait aussi membre de l’Akazu – le cercle restreint de personnalités liées à la famille du président Juvénal Habyarimana qui présidait aux nominations politiques, s’appropriait le pouvoir économique et contrôlait l’aide internationale –, ce qu’il admet.

Le verdict devrait tomber mi-mars, juste avant les vingt ans du génocide. Vingt années durant lesquelles la France a été accusée d’offrir un exil confortable aux acteurs du génocide. Au-delà de l’histoire d’un homme, passible de la perpétuité, ce procès sera aussi le miroir des relations franco-rwandaises.

Son «état paraplégique a constitué un véritable traumatisme et une importante blessure narcissique»