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George Bush accepte une enquête sur le renseignement

Le président cherche à gagner du temps. Mais les indices de manipulations deviennent nombreux.

Entre deux maux, George Bush a dû choisir le moindre: il s'apprête à accepter l'ouverture d'une enquête indépendante sur la qualité du renseignement qui a servi à justifier la guerre contre l'Irak au printemps dernier. Jusqu'à la fin de la semaine dernière, le président américain s'opposait à cette introspection dangereuse. Ses conseillers lui ont ouvert les yeux. Son refus était déjà une arme aux mains des démocrates, et ils allaient en faire un usage croissant: l'administration a menti sur les armes de destruction massive irakiennes, et maintenant, elle cherche à dissimuler son mensonge. En acceptant une enquête, George Bush gagne du temps. La composition de la commission sera compliquée, son travail très ardu: difficile d'obtenir un rapport avant le 2 novembre, date de l'élection présidentielle! Les démocrates vont maintenant se battre sur le mandat des enquêteurs. Ils veulent que l'investigation porte sur l'utilisation du renseignement par l'exécutif, et pas uniquement sur sa collecte par la CIA et les autres agences américaines.

En démissionnant de son poste et en demandant lui-même l'ouverture d'une enquête, David Kay – qu'on n'attendait pas dans ce rôle – a allumé la mèche. Mais le chef des limiers de l'Iraq Survey Group, chargé depuis le printemps dernier de trouver les «armes illégales» de Saddam Hussein, n'accuse pas l'administration d'avoir exercé des pressions sur les espions pour obtenir des analyses du renseignement favorables à ses buts de guerre. Il affirme que la CIA a été aveuglée par sa vision propre du régime irakien, renforcée par les informations de transfuges douteux, après 1998, quand elle a été privée de la plupart de ses accès directs dans le pays. Mais Kay, qui fut un ardent partisan de la guerre, n'est pas le meilleur guide dans ce labyrinthe. Les indices de manipulation du renseignement sont nombreux. En voici quelques-uns.

L'affaire des drones

Dans un document de la CIA, puis dans l'intervention de Colin Powell au Conseil de sécurité le 5 février 2003, l'Irak était accusé d'avoir développé une flotte de drones (avions sans pilote) équipés pour épandre des armes chimiques ou biologiques. Un appareil de ce type, amené sur un bateau près de la côte Est des Etats-Unis, pouvait déclencher une attaque meurtrière. D'ailleurs, Bagdad avait acquis un logiciel sophistiqué pour lire la topographie américaine dans cette région. Or on sait maintenant que la principale autorité pour évaluer les drones irakiens (l'armée de l'air américaine), avait elle-même écarté l'hypothèse de l'utilisation de ces appareils à des fins militaires, autre que l'observation.

Les tubes d'aluminium

La CIA et Colin Powell, dans les mêmes interventions, affirmaient que Bagdad avait cherché à se procurer des tubes d'aluminium d'une qualité spéciale, pour des centrifugeuses servant à enrichir l'uranium, et fabriquer une arme nucléaire. Cette information ne reposait sur rien, et l'administration le savait. A nouveau, l'autorité la plus compétente aux Etats-Unis (le Département de l'énergie) avait conclu que ces tubes étaient tout juste bons pour l'artillerie.

Le voyage de Joseph Wilson

George Bush avait parlé du fameux uranium nigérien dans son discours sur l'état de l'Union, l'an passé. La CIA savait qu'il s'agissait d'un bobard: elle avait envoyé au Niger, un an auparavant, l'ancien diplomate Joseph Wilson pour vérifier la rumeur d'un achat d'uranium par l'Irak. Quand il a entendu que le président contredisait les conclusions de son enquête devant la nation, Wilson est intervenu publiquement. Pour le faire taire, un cadre de la Maison-Blanche a révélé que la femme de l'ambassadeur était elle-même une espionne, et il a dévoilé son nom, ce qui est un crime aux Etats-Unis. Maintenant qu'un procureur à peu près indépendant enquête, l'affaire peut à tout moment exploser au nez de George Bush, car chacun sait que le coupable est très proche de lui.

Secours français?

Contre ce faisceau de présomptions, l'administration américaine continuera de se défendre en disant que tous les services de renseignements étaient convaincus de l'existence des programmes irakiens non conventionnels. La principale conseillère française (à Paris et à l'ONU) sur ces questions, Thérèse Delpech, n'a cessé d'affirmer, jusqu'à la veille même de la guerre, en se fondant sur des renseignements européens, que l'existence des ADM irakiennes ne faisait aucun doute.