C'était le modèle de la «bonne guerre». A l'inverse de l'Irak, le conflit mené en Afghanistan réunissait un juste motif (combattre Al-Qaida), une base légale fournie par l'ONU, une large coalition internationale et l'appui d'une grande partie de la population afghane, épouvantée par le règne des ténèbres introduit par les talibans. Six ans après son lancement, pourtant, la guerre n'est pas gagnée. Au contraire: les Américains commencent à évoquer publiquement le risque qu'elle puisse être perdue.

Comme un maître d'école qui rassemblerait sa classe pour faire le bilan de l'année écoulée, le président George Bush a laissé entendre jeudi les raisons qui, selon lui, expliquent cette dégradation. Dans sa conférence de presse de fin d'année, il s'en est pris à ceux qui sont «fatigués de l'Afghanistan» et qui «pensent à en partir». Il ne les a pas nommés. Il n'a donné que les noms des cinq bons élèves: les Australiens, les Britanniques, les Canadiens, les Danois et les Néerlandais. Tous les autres peuvent mieux faire. Et si le président américain avait décidé de décerner publiquement des bonnets d'âne, il le ferait sans doute à quatre pays en particulier: la France, l'Allemagne, l'Italie et l'Espagne.

Prix d'un «malentendu»?

Ce n'est pas le premier reproche de ce type à venir de Washington à l'encontre de ces pays. Il y a quelques semaines, le secrétaire à la Défense, Robert Gates, accusait lui aussi «certains membres» de l'OTAN de ne pas en faire assez en Afghanistan. Entre-temps, Américains et Européens avaient fait le vœu d'éviter d'étaler ce genre de divergences en public. Mais les propos de George Bush semblent indiquer que la question n'est pas résolue. La distinction entre bons et mauvais élèves est facile à établir: les premiers «ont accepté d'être sur la ligne front» aux côtés des Américains, a rappelé le président jeudi.

Les Européens paient-ils le prix d'un «malentendu»? Eux qui croyaient que leur mission en Afghanistan consisterait surtout à stabiliser le pays et à assurer les conditions de son développement semblent pris à revers par ces reproches. D'autant que les responsables américains passent comme chat sur braise sur leurs propres défaillances. Quelques mois à peine après le lancement de la guerre, les rapports des services secrets allaient tous dans le même sens: les talibans ne se relèveraient pas des campagnes de bombardement de l'US Air Force et ne représentaient plus une menace pour les intérêts américains. Une autre guerre était sur le feu. Même si les troupes américaines continuent de disposer de quelque 26000 membres, les forces d'élite et le gros des agents de la CIA ont été rapidement redirigés sur l'Irak.

«Corrosif»

«L'Afghanistan est facile à vaincre mais impossible à contrôler»: le fameux adage avait déjà été intégré par les Britanniques et les Soviétiques. Les Américains, et derrière eux les Européens, font désormais face à cette même réalité. Jamais, depuis la chute des talibans, le conflit n'avait été aussi meurtrier que cette dernière année. Et devant cette dégradation, le fait que les forces étrangères soient divisées en deux catégories (ceux qui acceptent de combattre et les autres) est jugé «corrosif» par certains responsables, dont les craintes se dirigent non seulement vers l'issue de la guerre mais aussi vers la crédibilité de l'OTAN.

Il y a quelques jours, le Congrès américain acceptait, dans l'urgence de la fin de l'année, de continuer de financer les guerres en Irak et en Afghanistan à hauteur de 70milliards de dollars. Une respiration pour la Maison-Blanche qui a, en revanche, écarté une proposition que lui faisaient les responsables du Corps des Marines. Puisque la situation s'améliore en Irak, disaient en substance les militaires, dépêchons plutôt le matériel et les troupes en Afghanistan. Après tout, ces troupes ont été particulièrement aguerries en luttant contre les insurgés à Bagdad et dans la province d'Al-Anbar. Elles peuvent mettre à profit leur expérience dans les montagnes afghanes. «Robert Gates ne croit pas qu'il soit encore temps de faire cela, tranchait un porte-parole du Pentagone. Anbar est encore un endroit dangereux.»