Gloria Gaggioli, le droit pour guide démocratique
Portrait
Directrice de l’Académie de droit international humanitaire et de droits humains à Genève depuis le mois d’août, la chercheuse et professeure n’hésite pas à critiquer les pratiques étatiques quand celles-ci vont trop loin dans la lutte contre le terrorisme

Son lieu de travail est enchanteur: une villa qu’avait fait construire Gustave Moynier, cofondateur de la Croix-Rouge, et qui servit durant quelques années de siège du CICR. De son bureau, Gloria Gaggioli peut saisir du regard une tranche du lac baigné par un froid soleil de novembre.
C’est dans ces murs où suinte l’histoire qu’elle dirige depuis août l’Académie de droit international humanitaire et de droits humains (ADH). Une institution qui s’inscrit dans l’ADN de la Genève internationale et qui dispense à 120 étudiants des masters en droit humanitaire et droits humains, en justice transitionnelle et des masters pour praticiens et diplomates souhaitant approfondir leurs connaissances.
Mesures policières critiquées
Pour Gloria Gaggioli, 40 ans, qui a étudié les relations internationales avant de se consacrer au droit international, cette dernière discipline constitue davantage que des articles, des clauses et des procédures. C’est un outil fondamental pour protéger les gens. Il y a chez elle une probité, un idéal de justice qui anime celles et ceux qui voient dans un Etat de droit solide la garantie d’une démocratie équitable.
A la tête d’un projet de recherche financé par le Fonds national suisse de la recherche scientifique, cette professeure associée de droit à l’Université de Genève questionne les mesures prises par les Etats dans la lutte contre le terrorisme. Et elle n’est pas du genre à s’accommoder sans sourciller de la rhétorique étatique selon laquelle la fin justifie les moyens.
Avec la rigueur et l’endurance de la rameuse – elle a pratiqué l’aviron dans sa jeunesse – elle dissèque les mesures policières contre le terrorisme, les «MPT» récemment adoptées par les Chambres fédérales. Elle s’étrangle presque quand elle lit le texte de la nouvelle loi qui parle de «terrorisme potentiel». Un flou lexical qui ouvre la voie à l’arbitraire, dénonce Gloria Gaggioli, qui a cosigné une lettre ouverte adressée par plusieurs dizaines de professeurs de droit aux parlementaires suisses pour dénoncer cette dérive sécuritaire.
«Terrorisme potentiel? C’est un procès d’intention, s’insurge la professeure. La Suisse va plus loin que les pays européens. Par cette loi, elle permet, par le biais de l’Office fédéral de la police (Fedpol), de prendre des mesures policières administratives hors de tout contrôle judiciaire. C’est problématique.»
Lire également: Robert Mardini: «Le conflit afghan ne peut plus continuer ainsi»
Elle énumère ce qu’autorisera la loi: interdiction géographique, surveillance électronique, interdiction de quitter le pays, voire assignation à résidence même pour des adolescents de 15 ans. «Cette loi, adoptée en septembre, pourrait très bien violer la Convention européenne des droits de l’homme», prévient-elle en citant de mémoire les articles concernés.
Pour la spécialiste du droit, ce n’est pas ainsi qu’on va empêcher la radicalisation de certains membres de la société. Pour les Etats, c’est la solution de facilité, montrer qu’on fait quelque chose. Dans cette même logique, en France, ajoute-t-elle, 43 mosquées ont été fermées ces trois dernières années. Est-ce une mesure efficace ou une punition collective qui va créer du ressentiment dans la communauté musulmane?
L’accent de Bénévent
Gloria Gaggioli a grandi à Genève. Elle pourrait être mue par une réserve calviniste pour éviter de froisser les esprits en public. Mais cette Genevoise est aussi habitée par une autre culture, plus verbale. Ses parents, tous deux de la région de Bénévent, en Campanie, ont émigré en Suisse dans les années 1960. Entre eux, ils parlaient le dialecte de Bénévent, mais avec les enfants dont Gloria, ils leur adressaient la parole en français. Par souci d’intégration.
«Quand j’écoute une cassette de moi enfant, je le constate, j’avais un fort accent italien qui me distinguait de mes camarades!» Aujourd’hui, la directrice de l’ADH, qui avait obtenu une maturité classique au Collège Sismondi, manie la langue de Molière à la perfection. Avec la passion transalpine en plus. Les visites de cousins dans le nord de l’Italie étaient l’occasion de refaire le monde. «C’est une culture de la parole que j’aime beaucoup. On prend son temps», souligne-t-elle.
Lire enfin: Fiona Terry, la recherche comportementale au service de l’humanitaire
La chercheuse, qui a écrit une thèse de doctorat sur l’influence mutuelle entre le droit international humanitaire (DIH) et les droits humains à la lumière du droit à la vie, a suscité un intérêt jusqu’au sein de l’armée suisse, qui lui confie un mandat d’un an pour étudier l’interaction entre la conduite des hostilités et le maintien de l’ordre. En côtoyant de fins stratèges de l’armée américaine au Naval War College de Rhode Island, elle a pu apprécier le rôle du DIH dans les stratégies militaires. Elle travaillera plus tard pour le CICR en tant que conseillère juridique.
Sa devise: exercer son métier en toute indépendance en appliquant le droit de façon juste et équitable. A la villa Moynier, elle veut faire du lieu une académie encore plus ancrée dans la Genève internationale. Elle ne voit pas la connaissance comme un bien à conserver jalousement. Pour elle, enseigner, c’est une manière de rester à la page et surtout d’assumer sa tâche de citoyenne.
Profil
1980 Naissance à Genève
2010 Doctorat à l’Université de Genève («summa cum laude»).
2011 Conseillère juridique au Comité international de la Croix-Rouge.
2019 Nomination en tant que professeure FNS (Fonds national suisse de la recherche scientifique) à l’Unige.
2020 Directrice de l’Académie de droit international humanitaire et de droits humains à Genève.
Retrouvez tous les portraits du «Temps».