«Significatifs». Le mot, manifestement utilisé lors d’un briefing destiné aux journalistes couvrant la visite à Riyad du premier ministre français, Manuel Valls, accompagné d’une importante délégation d’industriels français, se retrouve partout dans la presse hexagonale aujourd’hui: la France est venue signer des contrats «significatifs» avec l’Arabie saoudite. Elle a réussi: Manuel Valls l'a annoncé cet après-midi.

Cela signifie que la France revient avec une montagne de contrats juteux. Un signe qui ne trompe pas: la visite française est surtout traitée dans les pages économiques des journaux. «Des accords importants dans l’aéronautique, notamment avec Airbus Helicopters, devraient être conclus mardi à Riyad, en marge d’un forum d’affaires franco-saoudien»: Capital passe en revue ces «gros contrats en vue». La Tribune fait l’inventaire précis des «neuf dossiers en suspens entre la France et l’Arabie» saoudite. «Selon des sources concordantes, les Saoudiens seraient prêts à acheter à Airbus Helicopters une trentaine de Super Puma AS332 C1e, un appareil lancé en 2012 et acheté par la Bolivie fin 2013. Ce qui serait pour la filiale hélicoptériste d’Airbus une bouffée d’oxygène tant les commandes ont d mal à se concrétiser en 2015 en dépit de belles annonces restées vaines pour l’heure au Qatar, au Koweït et en Pologne. Le groupe Airbus pourrait également en profiter pour faire avancer la vente de deux avions ravitailleurs A330 MRTT».

Autant de matériel utilisé par les militaires. Il est aussi question de satellites d’observation, d’EPR: n’en jetez plus, la hotte du père Valls est bien garnie.

Lire: Diplomatie française, l’obsession des contrats

«La France ne peut pas facilement ignorer un client comme l’Arabie saoudite, reconnaît France 24, avec son fort taux de chômage et sa croissance économique au ralenti, de gros contrats d’armes sont bienvenus pour booster l’économie française». D’autant que «Riyad est devenu l’année dernière le premier acheteur d’armes au monde, passant devant l’Inde, augmentant de 54,5% ses dépenses militaires à 5,8 milliards d’euros.»

Un «calendrier malheureux»

Mais cette visite soulève aussi des questions. Cette dernière étape du périple de Manuel Valls au Moyen-Orient, intervient deux jours seulement après la journée mondiale contre la peine de mort, ce qu’on appelle un «calendrier malheureux», souligne le Journal du dimanche. Le royaume a procédé à «130 exécutions depuis le mois d’août, contre 90 en 2014, loin d’une amélioration». Manuel Valls lui-même a récemment critiqué la décision de l’Arabie saoudite d’exécuter un jeune opposant chiite:

Le premier ministre français devrait solliciter la grâce du jeune homme, mineur lorsqu’il avait participé à des manifestations antigouvernementales, lorsqu’il rencontrera le roi Salman dans la journée. «Mais cette indignation a semblé moins vive dès l’annonce mi-septembre de la visite à Riyad», écrit la revue américaine de géopolitique en ligne worldpoliticsreview, qui détaille l’intensification de la relation franco-saoudienne depuis l’arrivée de François Hollande à l’Elysée en 2012: «Sur 39 visites bilatérales décomptées entre 1926 et 2014, 15 ont pris place entre fin 2012 et fin 2014.

Les ventes d’armes aux Saoudiens vont booster l’économie française, mais à quel coût?

Dans le public en revanche, cette nouvelle visite a déclenché certaines critiques, qui le taxent d’hypocrite lorsqu’il défend un agenda fondé sur les droits de l’homme tout en maintenant des liens intimes avec la nation pétrolière réputée pour ses châtiments et ses exécutions publiques». L’industrie d’armement française a connu une hausse de 18% en 2014 et a presque doublé ses ventes durant les cinq premiers mois de 2015, rappelle le site, même avant la première visite des Saoudiens à Paris en juin. «Les ventes d’armes aux Saoudiens vont booster l’économie française, mais à quel coût?» Bien sûr, l’industrie militaire américaine ne voit pas d’un très bon œil les nouvelles performances de sa concurrente française.

«L’alliance entre la France et l’Arabie saoudite s’est renforcée ces dernières années, en même temps que la relation se refroidissait entre Riyad et Washington», note d’ailleurs placidement de son côté le New York Times… «On a effectivement l’impression qu’il existe un axe entre Paris et Riyad. La France est le bénéficiaire involontaire des relations de plus en plus difficiles entre l’Arabie saoudite et les Etats-Unis», analyse l’historien Jean-Paul Burdy, cité par RFI.

Même double discours en Grande-Bretagne

Alors? La France n’est pas le seul pays à expérimenter le double discours. Dans son blog hébergé par le Financial Times, David Allen Green raconte dans un article passionnant comment la Grande-Bretagne participe à la formation des policiers saoudiens, sans l’admettre publiquement. «L’Arabie saoudite, devenue premier acheteur d’armes du monde, est un «régime barbare», et le blogueur de revenir sur le cas d’un autre jeune homme, Dawoud al-Marhoon, également âgé de 17 ans lorsqu’il a été arrêté pour les mêmes faits, qui risque lui aussi la décapitation ou la crucifixion, dans une affaire moins médiatisée. La BBC de son côté raconte ce matin le calvaire de ce septuagénaire britannique qui vient de passer un an en prison après avoir été arrêté en possession de vin qu’il avait lui-même fabriqué chez lui, et qui risque de recevoir 360 coups de fouet – ce qui pourrait le tuer.

Sans même parler de cas individuels, l’Arabie saoudite est suspectée de crimes de guerres au Yémen, rappelle le site alternatif en ligne Basta, qui donne longuement la parole à Amnesty International. «L’Arabie saoudite est le plus gros client des fabricants d’armes français en termes de volume financier des contrats. A lui seul, le royaume saoudien a passé plus de 3 milliards d’euros de commandes en 2014. Entre 2013 et 2014, l’Arabie saoudite a par exemple importé ou commandé à la France des missiles anti-aériens, des canons, des missiles anti-chars ou encore des blindés.»

Des performances qui devraient donc encore «significativement» s’améliorer.