La presse grecque s’interroge au lendemain de la funeste grève générale qui a fait trois morts à Athènes. Protester, c’est normal, mais il faut surtout changer de mode de vie pour affronter la rigueur.

Après les affrontements qui ont éclaté mercredi à Athènes entre jeunes et policiers lors d’une grande manifestation contre la rigueur en Grèce, tuant trois personnes, plus les jours passent, plus on est tenté de croire qu’Athènes va sortir de la zone euro et rétablir la drachme. «Au bord du gouffre», dit le Financial Times: les citoyens ne semblent pas prêts à avaler les sacrifices qu’on leur demande, une sacrée cure d’austérité avec une quasi-certitude de récession pour des années. Comment alors, «éviter une fuite de l’épargne des banques?» traduit Eurotopics. «Même Athènes endettée garantit les dépôts des épargnants. Que se passera-t-il si le système bancaire grec s’écroule?» se demande le journal tchèque Hospodárské noviny.

La peste ou le choléra. En résumé, «les Grecs doivent choisir entre la catastrophe ou le sacrifice», écrit le journal espagnol Expansión. Avec la garantie, en tous les cas, d’une «asphyxie pour cinq ans», selon l’expression de To Ethnos (gauche populaire). Mais un peu moins longtemps pour Elefthérotypia (gauche indépendante): «Quatre ans sans respirer…» D’après Le Point, il «est bien sûr très difficile que la société accepte» ce que le quotidien progouvernemental Ta Néa appelle aussi le «grand sacrifice»: «La manière dont nous avions l’habitude de vivre, de travailler, de consommer et d’organiser notre vie […] a pris fin» et «rien dans le pays n’est plus comme avant. Pour être exact, tout a changé vers le pire.» Et d’enchaîner: «Le danger le plus grand pour nous […] c’est que […] nous nous remettions à savourer nos pâtes au homard et à siroter notre ouzo au soleil couchant.»

A droite, Elefthéros Typos juge que «les demi-mesures du gouvernement conduisent mathématiquement le peuple à la détresse». Et Presseurop de relayer que les demandes des bailleurs sont «injustes», «brutales» et «sans précédent» après avoir lu To Ethnos, pour lequel «elles balaient cinquante ans d’acquis sociaux». Il s’agit donc, écrit le journal grec, «des mesures les plus antisociales qu’ait jamais connu» le pays, en tout cas depuis un bon siècle. «Et elles contredisent de façon flagrante les promesses électorales et post-électorales du Premier ministre.» D’où «un énorme problème de crédibilité politique pour Papandréou et le gouvernement dans son ensemble», face à un PIB qui «va baisser de 4% cette année». Cela rappelle 1974: la crise pétrolière et «le chaos qui [avait] suivi le coup d’Etat manqué à Chypre et l’invasion du nord de l’île par l’armée turque». Le régime des colonels était tombé et la menace montait d’une guerre avec la Turquie. Ce qui «avait entraîné une baisse du PIB de 6,4%. Aujourd’hui, les choses sont bien différentes. On doit réévaluer la dette publique: de 115% en 2009, elle devrait passer à 140% en 2014.» Les Echos, citant la presse grecque, écrivent: «Les marges de décisions se sont rétrécies […] et nous sommes appelés aujourd’hui à corriger, qu’on le veuille ou non, des logiques et des comportements, des pratiques et des mentalités qui constituent les causes principales qui nous ont conduits à l’impasse actuelle.»

De son côté, L’Humanité, d’obédience communiste et très vibrante, s’en prend aux «prédateurs» qui gagnent de l’argent sur la crise et appelle à «entrer en résistance» contre «l’Europe du capital»: «Le travailleur libre qui se rend au marché libre pour y vendre sa peau, disait Marx, «doit s’attendre à être tanné». Cela vaut pour les peuples au grand marché concurrentiel de l’Europe libérale.» Alors qu’il y a deux semaines, To Vima prétendait aussi que la Grèce faisait «face à des dragons du néolibéralisme», l’édition anglophone de Kathimerini, citée et traduite par France 24, titrait en ce début de semaine sur «la gentillesse des étrangers». Une manière de remercier «pour l’aide sans cesser de pointer du doigt les responsables grecs», comme le fait le journal économique libéral Naftémporiki, soulignant, avant l’accord, que des prêts bilatéraux seraient «la solution ultime» pour la Grèce si cela «s’avère nécessaire».

Plus métaphorique et relayé par le site Eurotopics, le quotidien économique portugais Jornal de Negócios cite l’économiste américain Nouriel Roubini, qui a déclaré que la Grèce était «le canari dans la mine de charbon. Quand il chante, le monde va mieux. Quand il s’arrête de chanter, c’est la confusion complète. Les canaris chantent et envoûtent. Cette crise désenvoûte.» Et d’en conclure qu’elle «révèle la fin d’une époque»: «Les sociétés vivent de l’équilibre. Et tout cela a cessé d’exister – dans un monde où les crédits faciles nous ont procuré le meilleur de la planète et dissimulé le pire des enfers. Les Grecs se retrouvent au purgatoire.»