C’était la fin du plus long conflit commercial de l’histoire récente. En décembre dernier, sous l’égide de l’OMC, l’Union européenne signait un accord avec des pays d’Amérique latine. Ceux-ci contestaient les conditions préférentielles accordées par l’UE aux producteurs de bananes de la zone Afrique, Caraïbe et Pacifique (ACP).

Les «bananes dollars» – les gouvernements d’Amérique du Sud étant soutenus dans cette affaire par les Etats-Unis – verront leurs taxes d’importation baisser, par paliers et à l’horizon 2017, de 176 euros à 114 euros la tonne, précisait le communiqué officiel de l’Union. La baisse la plus importante sera concédée dès que toutes les parties auront signé l’accord. Les pays ACP perdront certaines facilités, mais «la Commission proposera de mobiliser jusqu’à 200 millions d’euros du budget de l’UE pour faciliter l’adaptation des principaux pays exportateurs ACP (outre l’aide déjà accordée actuellement)».

Pas suffisant, jugent les intéressés. Selon le site d’Abidjan TV, «en 2008, [les pays ACP] ont exporté quelque 920 000 tonnes de bananes vers l’UE, contre 3,9 millions de tonnes en provenance d’Amérique latine». Pour le média ivoirien, «cet accord met sérieusement en difficulté les pays africains producteurs de bananes dont le Cameroun et la Côte d’Ivoire, deux gros producteurs. Ces Etats devraient être les plus touchés. La Côte d’Ivoire par exemple, exporte chaque année près de 230 000 tonnes de bananes. Et plus de 500 000 personnes vivent directement ou indirectement des exportations de bananes dans les deux pays. L’accord devrait toucher les ACP de plein fouet, entraînant une chute de 14% de leurs exportations tandis que celles des pays latino-américains croîtraient de 17%.»

Interrogé récemment par Afrique Magazine, Denis Loeillet, chercheur et directeur de la rédaction de Fruitrop, un mensuel édité par le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement, analyse durement ces dispositions: «À mon sens, la raison n’a jamais eu droit au chapitre dans ce dossier. La partie ivoirienne a bien montré que l’accord allait être dévastateur, pas uniquement pour les pays ACP mais pour toutes les régions productrices de bananes, en raison de la déstructuration commerciale qui pourrait s’en suivre, avec risques de surproduction et baisse des prix.»

Pis, en mars, les pays producteurs ont reçu «un nouveau coup dur», explique Le Figaro: «La Commission vient de signer un accord bilatéral de libre-échange avec la Colombie et le Pérou. Il porte notamment sur la réduction des droits de douane de près de 60% sur ce fruit tropical. Actuellement de 176 euros la tonne, les droits passeront à 75 euros d’ici à dix-sept ans.»

Le journal ajoutait: «Les producteurs de bananes antillais sont incrédules et craignent pour leur avenir, eux qui détiennent près de 40% du marché français de la banane […]. Pour cette industrie ultramarine, l’accord de Bruxelles fait l’effet d’une douche froide.»

Face à cette situation et alors qu’approche l’examen de l’accord de décembre 2009 par le Parlement européen, la mobilisation s’accroît. Un communiqué indique que le député et président de la Région Guadeloupe, Victorin Lurel, «demande solennellement au président de la République et au gouvernement de mettre tout en œuvre avant la fin mai pour que l’Union européenne renonce à cet accord et qu’ils respectent ainsi leur engagement de soutenir l’agriculture antillaise».

Pour la Guadeloupe, note le portail Domactu.com, le texte «menace ainsi la banane européenne et plus singulièrement la banane guadeloupéenne». D’autant que les producteurs subissent les conséquences de l’éruption du volcan de Montserrat, en février dernier, qui a provoqué (là aussi) un néfaste nuage de cendre. L’événement a été qualifié de «calamité agricole».

Le 29 avril dernier, des représentants des pays ACP ont plaidé leur cause devant la Commission et le Parlement européens, raconte le portail Fenêtre sur l’Europe: «En cause, le rapprochement de l’UE avec l’Amérique latine qui se fait, selon eux, au détriment de leurs propres exportations de bananes. Au nom des ACP, le ministre camerounais du Commerce Luc Magloire Mbarga Atangana a affirmé que, même avec les mesures d’accompagnement pour le secteur de la banane, l’UE avait «trahi» les ACP.»

Ces plaintes n’empêchent pas, en parallèle, de nouveaux efforts pour améliorer la production. Traumatisées par un scandale au milieu des années 1990 – l’emploi, dans les bananeraies, d’une molécule ayant provoqué de nombreuses pollutions, elle-même étant suspectée d’être cancérigène –, la Martinique et la Guadeloupe ont lancé, fin 2008, leur plan «banane durable». En mars dernier, à l’heure d’un «premier bilan d’étape», RFO relevait que «non seulement l’utilisation des pesticides a été réduite, mais en plus il n’y a pas eu de conséquences néfastes sur la production. Bien au contraire. Pour Damien Frair [un producteur guadeloupéen], sa production de bananes en Guadeloupe a même augmenté depuis la réduction des pesticides.»

L’article de RFO ajoute que «pour mettre en place une banane défiant toute concurrence, un Institut technique de la banane a vu le jour en 2009. Il travaille en ce moment à la mise en place d’une variété de fruit résistante aux maladies, et ce sans OGM. Des croisements de variétés sauvages sont étudiés. Des premières expériences ont permis d’obtenir une banane résistante mais avec un rendement très bas.»

Au Sénégal, annonçait mardi dernier l’Agence de presse nationale, un plan de 4,2 milliards de francs CFA (plus de neuf millions de francs) est envisagé, pour «l’amélioration de la qualité de la banane locale». Selon le directeur de l’horticulture, Seydi Ababacar Gaye, «les méthodes de traitement, de conditionnement et de stockage sont archaïques». Il ajoute: «Aujourd’hui […], si nous voulons améliorer la compétitivité de la banane locale, nous devons travailler en amont comme en aval», c’est-à-dire «travailler sur les bonnes pratiques agricoles, tout ce qui améliore la productivité, travailler sur la qualité de la production, sur les méthodes de récolte, de stockage et de conditionnement». La guerre de la banane n’est pas finie.

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