CONTRATS
Les contrôleurs du Pentagone confirment de sérieux problèmes dans la comptabilité de la firme de Houston, qui s'en défend. Cet «accident» éclaire à nouveau le ménage obscur des politiques, des militaires et de l'industrie.
En Irak, Halliburton vole les contribuables américains. C'est ce que le sénateur démocrate Henry Waxman répétait dans le vide depuis l'été. Le Corps des ingénieurs de l'Armée, qui gère les contrats du géant de Houston dans l'après-guerre irakien, rejetait constamment ces accusations. Les contrôleurs du budget du Pentagone, eux, viennent de donner raison au sénateur: dans deux contrats, Kellogg Brown & Root, le bras d'Halliburton dans la guerre, a surfacturé ses services pour plus de 120 millions de dollars. Et dès qu'apparaît le nom de KBR, surgit aussitôt celui du vice-président Dick Cheney, qui fut durant cinq ans le patron du groupe, jusqu'en 2000. En année électorale, c'est bien sûr un baril de poudre.
Donald Rumsfeld s'est aussitôt porté au secours d'Halliburton («Il n'y a que des malentendus»), dont le nouveau PDG, Dave Lesar, répète qu'il n'y a pas de lézard. Quand le rapport final d'audit sera connu – à Noël! – la polémique sur les bizarres comptabilités irakiennes rebondira. Mais ce sont des détails. L'important est dans l'incroyable imbrication du complexe politico-militaro-industriel aux Etats-Unis, et dans la figure énigmatique et un peu inquiétante du vice-président.
Les faits d'abord. KBR, depuis longtemps, est le fournisseur habituel des services de l'armée: ravitaillement et logement des troupes avec d'innombrables fonctions qui s'enchaînent, cantines, blanchisserie, poste, etc. En 2001, la filiale d'Halliburton a décroché sans surprise (il y avait eu appel d'offres) un nouveau contrat qui, compte tenu des circonstances, allait forcément se révéler juteux. Sa valeur potentielle (il n'y a pas de limite de temps) est évaluée à 8,6 milliards de dollars. En outre, à la fin de l'an passé, KBR a obtenu, sans concours et en secret, un autre contrat pour l'extinction des puits de pétrole incendiés dans la guerre qui allait peut-être avoir lieu… Il a été étendu depuis à la réorganisation de la production, prolongé deux fois, malgré la promesse du Pentagone d'ouvrir le gâteau à la concurrence (américaine). Deux nouveaux contrats devraient être attribués finalement fin janvier, et KBR est naturellement sur les rangs.
Les surfacturations ont été découvertes dans les services de cantines (67 millions; contrat cassé), et dans l'importation de pétrole du Koweït vers l'Irak: KBR facturait le gallon 2,64 dollars, alors que d'autres fournisseurs le proposaient à 1,10 dollars environ. Risques de guerre, explique-t-on à Houston.
Quand Dick Cheney a pris le commandement d'Halliburton, il venait du Pentagone, où il était le patron, vainqueur de la guerre de 1991. Sous son règne à Houston, le montant des commandes venant de l'Etat (de l'armée en fait) a doublé. Problème? Il n'y en a pas. Puis Cheney s'est installé dans l'annexe de la Maison-Blanche, et Halliburton, qui a par ailleurs de gros problèmes d'amiante, a reçu des contrats encore plus dodus. Problème? Il n'y en a pas non plus. Le vice-président a juste été le plus implacable avocat de la guerre pour éliminer le régime de Saddam Hussein.
Pour que les choses ne soient pas trop troubles, Dick Cheney, après la victoire électorale de 2000, a annoncé de façon démonstrative qu'il coupait tous les ponts avec Halliburton. Mais ce n'est pas vrai. Il continue de recevoir, en vertu d'une assurance signée au moment de son engagement à Houston, un salaire différé: entre 150 000 et 200 000 dollars par an jusqu'en 2004. En 2001, le montant était plus élevé que sa paie de vice-président. Par ailleurs, il conserve 433 333 stock-options, gérées il est vrai par un fond sans but lucratif.
A la Maison-Blanche, Dick Cheney mérite son salaire de second. Il apparaît le moins possible, mais il s'occupe, de près, de tous les dossiers, et il les gère parfois directement: sécurité et guerre, énergie, économie, intérieur, réforme de Medicare, fiscalité, environnement… Il a imposé ses hommes partout, et son staff personnel est une redoutable machine. Jamais, disent les historiens, un vice-président n'a eu un tel pouvoir. Le sénateur démocrate Joseph Biden, qui forcément n'aime pas Cheney, décrit la présidence comme un cavalier sur sa monture: le cheval, c'est George Bush.
Ces jours, le vice-président passe beaucoup de temps dans les Etats, pour ramasser de l'argent en prévision de l'élection de novembre. Des manifestants hostiles accueillent parfois cet homme froid, dur, éloigné des gens. Mercredi, Dick Cheney inaugurait un nouveau bâtiment du Musée de l'Air et de l'Espace. Il y avait avec lui Paul Tibbetts, le largueur de la bombe d'Hiroshima, qui admirait son Enola Gay rénové.