Sur la vitrine du magasin, l’affiche est un peu jaunie. Mais les membres de la famille Obama, aux anges sous un ciel azur, continuent de délivrer leur même message: «Ne te contente pas de suivre tes rêves, réalise-les!» Le district de Harlem, à New York, aime se voir refléter dans ses héros, de Malcom X à Michael Jackson. Il y a pile un an, le 4 novembre, il a touché son rêve en envoyant un président noir à la Maison-Blanche. Aujourd’hui, il lutte pour ne pas le laisser s’évaporer.

Qu’est ce qui a changé en un an, du côté de la 110e rue? Rien, en apparence, pour ce couple qui déchiffre avec le doigt les offres d’emploi, dans un journal posé sur la table. Dans le fast food sont servies les mêmes déclinaisons de paquets de matières grasses. Mais le restaurant a été rebaptisé. Il s’appelle désormais l’«Obama fried Chicken». Et c’est sous le visage souriant du président des Etats-Unis, de «leur» président, que l’homme et la femme, à la mine triste et aux allures de clochards, se rendent à l’évidence: aucune des offres d’emploi n’est pour eux. Un sourire: «Non, ce n’est pas facile. Mais si Dieu le veut, cela arrivera. Nous avons appris la patience.»

En regard des attentes qu’il avait soulevées, Barack Obama n’a pu afficher que des maigres réalisations ces premiers mois. Pourtant, l’immense ferveur qui avait accompagné l’élection n’est pas retombée. A peine la question posée, le ton se fait vif pour remettre à sa place l’impudent qui pourrait mettre en doute les volontés du président. «Il faut lui laisser le temps. Vous croyez qu’il dispose de tous les pouvoirs? Vous croyez qu’il fait ce qu’il veut? Faites vos devoirs, renseignez-vous», fait mine de s’emporter Abdul Salam, qui vend des sous-vêtements un peu plus haut, en face de la mosquée de la 116e rue.

C’est presque avec colère que les habitants de Harlem sont déterminés à continuer de défendre leur rêve. Quitte pour cela à travestir un peu la réalité. «Je ne vis pas moins bien qu’avant, je vis mieux», s’emporte l’homme en écartant d’un revers de main la crise économique, les chiffres du chômage et les magasins qui ferment. «Si les temps sont durs aujourd’hui, c’est pour les escrocs de Wall Street, c’est pour les banquiers qui s’en étaient mis plein les poches avant, poursuit-il en recueillant l’approbation bruyante de passants. Nos frères noirs ne mourront jamais de faim. Revenez dans un an. Vous verrez que les choses, pour nous, iront encore mieux.»

Patience. Mais aussi un sentiment d’orgueil retrouvé. Au coin de la rue, Tony, employé municipal de 48 ans, est prêt à jurer que les rapports entre les gens ont changé, qu’Harlem est devenu encore plus hospitalier que par le passé, comme si Obama avait fourni un surplus de confiance, même face à ces Chinois qui, à l’inverse des Noirs, continuent d’ouvrir des épiceries et d’y être employés. «Je ne veux pas qu’Obama soit le président des Noirs, explique-t-il, haussant lui aussi le ton pour prendre la rue à témoin. Je ne veux pas d’un président qui divise. Je ne veux pas d’un président qui nous mette une cuillère d’argent dans la bouche et nous offre une Bentley du simple fait que nous ayons la même couleur de peau. Ce sont des gens comme nous qui ont fait et continuent de faire les Etats-Unis. Ici, nous accueillons tout le monde. Et nous avons tous le même président.»

Comme Tony, nombreux sont les analystes qui ont voulu voir le début d’une Amérique «post-raciale» dans l’arrivée d’Obama à la Maison-Blanche. Un dénouement précipité? Richard Alba* est habitué à compter avec le temps long. Ce professeur de Harvard, l’un des démographes les plus réputés du pays, n’a aucune peine à rappeler le long processus à l’œuvre. L’odieuse histoire de l’esclavage; le «racisme terrible» qui commande encore les réactions d’une partie de la population blanche; l’inégalité criante qui régit un système éducatif incapable de fournir aux enfants noirs les mêmes outils et capacités d’intégration qu’aux enfants blancs. Mais le démographe inverse aussi le problème, rendant plus frappant encore le changement de ton qui s’est opéré à Harlem: «Historiquement, les Noirs n’ont jamais cru la société américaine capable de bien les traiter. C’est ce manque de confiance qui les place dans une mauvaise position pour s’extirper de leur condition.»

Ce facteur n’est pas seulement un handicap face à la population blanche qui contrôle encore le gros des postes de pouvoir. Il explique aussi en partie pourquoi les Noirs s’en tirent comparativement moins bien que les autres minorités, les Asiatiques ou les Hispaniques, arrivés pourtant bien après eux.

Lewis Roman ne le dira pas. Mais il sait que son travail ne sert à rien. Avec d’autres militants démocrates, il vient de passer deux jours à parsemer Harlem de pancartes pour appeler les électeurs à participer au scrutin municipal de ce mardi. Sans trop y croire, les démocrates comptent sur «l’effet Obama» pour tenter de déloger le très populaire maire de New York, Mike Bloomberg, inscrit chez les républicains. «Les gens commencent à montrer des signes de nervosité, concède-t-il, en parlant du premier bilan de l’administration Obama. C’est à nous de leur rappeler dans quel trou nous avait plongés l’administration précédente. Et de continuer à travailler pour que nous puissions tous remonter la pente ensemble.»

Retour au temps long des démographes. Et, paradoxalement, à un certain optimisme: pour Richard Alba, la présence de Barack Obama à la Maison-Blanche coïncide en effet avec un phénomène qu’il décrit comme une «opportunité inhabituelle» pour les Etats-Unis. Bientôt, note-t-il, les représentants du baby-boom commenceront à partir en masse à la retraite, ce qui devrait provoquer un formidable appel d’air sur le marché du travail et particulièrement au sein des postes à responsabilité, jusqu’ici réservés à l’élite blanche. «La grande question, souligne toutefois le professeur, est de savoir si ce sont les Noirs qui bénéficieront de cette chance historique, ou s’ils se feront devancer par les enfants d’immigrants, notamment hispaniques.»

* Dernier ouvrage: Blurring the color Line, Harvard University Press.