La rencontre aujourd’hui à Helsinki entre Donald Trump et Vladimir Poutine devait sceller des liens entre deux hommes enclins à échanger des éloges. Mais la justice américaine a jeté une peau de banane sous les pas de Trump trois jours avant leur premier véritable sommet bilatéral. Vendredi, le procureur spécial Robert Mueller a inculpé douze officiers du renseignement militaire russe pour conspiration, piratage, vol et huit autres crimes contre les Etats-Unis. Ce qui revient à incriminer personnellement leur supérieur hiérarchique, le commandant en chef des armées Vladimir Poutine, pour les interférences russes durant la présidentielle américaine de 2016. Le président russe a toujours nié ces accusations, suggérant que des «hackers patriotes [russes]» pourraient être derrière les cyberattaques. 

Les accusations de collusion entre le Kremlin et Donald Trump sont qualifiées en Russie de complot visant à bloquer tout réchauffement diplomatique. «Cette cuisine maison des adversaires de Trump juste avant le sommet est une étonnante coïncidence», ironise l’influent sénateur russe Alexeï Pouchkov. «La tâche est évidente: gâcher l’atmosphère de la rencontre et raccourcir la laisse de Trump.»

Le dépit est d’autant plus intense que, comme le souligne la politologue Tatiana Stanovaya, «le Kremlin a très longtemps attendu une véritable rencontre bilatérale entre Vladimir Poutine et Donald Trump. Avec l’espoir qu’elle constitue un point de départ pour un dialogue permettant de sortir de la crise. La simple tenue du sommet est déjà perçue comme un succès.»

Besoin de victoires symboliques

Des victoires, le président russe en a bien besoin en ce moment, alors que l’annonce mi-juin de la hausse de l’âge de la retraite pour les Russes (de 5 ans pour les hommes et de 8 ans pour les femmes) a porté un coup à sa cote de popularité. Cette popularité dans son pays, Vladimir Poutine la doit essentiellement à sa posture de dirigeant ayant «rétabli la Russie dans son statut de superpuissance». Le président russe se sent dès lors contraint d’apporter régulièrement à son public des victoires symboliques sur le front extérieur.

Moscou a observé avec intérêt les concessions américaines récentes accordées à la Corée du Nord

Donald Trump constitue un allié utile dans cette course à la victoire. «Vladimir Poutine voit en Trump une figure avec laquelle il est possible a priori de trouver un accord, quelle que soit l’humeur de l’establishment américain. Un consensus s’est formé autour de l’idée qu’il faut que Trump renforce ses positions aux Etats-Unis. Mais cela prendra du temps: le Kremlin regarde attentivement la santé de l’économie américaine, et espère que le Parti républicain va se maintenir aux élections de mi-mandat», écrit Tatiana Stanovaya dans le dernier bulletin du cabinet d’experts R.Politik. 

Le contrepoids à Trump formé par le Congrès empêche les Russes d’espérer une levée prochaine des sanctions américaines. Pour l’expert en relations russo-américaines Vladimir Frolov, Moscou vise une déclaration commune annonçant le rétablissement des contacts entre les deux gouvernements, quatre ans après leur suspension en 2014 à la suite de l’annexion de la Crimée. «Ce serait une victoire pour Vladimir Poutine puisque cela validerait sa stratégie de fermeté face aux Etats-Unis», estime Vladimir Frolov.

Moscou, qui a observé avec intérêt les concessions américaines récentes accordées à la Corée du Nord, espère obtenir de Washington un retrait complet des forces américaines de Syrie et une capitulation sur les exigences de départ de Bachar el-Assad. Les espoirs sont plus modestes sur un dossier ukrainien verrouillé dans les deux sens. Le pétrole pourrait aussi faire partie des discussions alors que Trump souhaite voir baisser les prix à la pompe à domicile avant les élections de mi-mandat. Poutine pourrait faire un pas dans sa direction en exportant davantage de brut russe que prévu dans l’accord récent passé avec l’OPEP, afin de provoquer une baisse des cours.

Un lieu chargé d’histoire

A l’origine, la rencontre entre les deux hommes devait se tenir à Vienne (où se trouve le siège de l’OPEP), mais la Maison-Blanche a finalement opté pour Helsinki fin juin, sans expliciter son choix. Un lieu apparemment choisi pour sa dimension symbolique. La capitale finlandaise fut à trois reprises le lieu d’avancées diplomatiques importantes entre les Etats-Unis et la Russie. C’est là qu’en 1975 Gerald Ford a brisé la glace avec Leonid Brejnev avec un accord clé sur le respect des frontières redessinées par la Seconde Guerre mondiale. Puis, en 1990, George Bush et Mikhaïl Gorbatchev s’y sont retrouvés pour s’entendre sur l’Irak. Enfin, Bill Clinton y a proposé à Boris Eltsine une place au G7.

Le choix d’un lieu chargé de symboles aidera-t-il Donald Trump et Vladimir Poutine à forcer la main à l’histoire? Dimanche, plusieurs milliers de Finlandais ont défilé dans les rues d’Helsinki pour dire tout le mal qu’ils pensent des présidents américain et russe. Ils ont été rejoints par des opposants russes réduits au silence complet chez eux à cause de l’interdiction totale de manifester décidée par le Kremlin «pour ne pas perturber la Coupe du monde de football».