Google a décidé d’adopter «une nouvelle approche» envers la Chine après avoir découvert, mi-décembre, des attaques «ciblées et très sophistiquées» en provenance de Chine contre son infrastructure technique. Le gouvernement chinois n’est pas cité dans le texte publié par le moteur de recherche sur son blog, mais l’affaire a déjà pris le tour d’un incident diplomatique suite aux déclarations de la secrétaire d’Etat américaine Hillary Clinton, qui a demandé mardi soir des explications à la Chine. «Google nous a informés de ces accusations, qui soulèvent de très graves inquiétudes», a-t-elle déclaré dans un communiqué.

«Ce qui semblait être au départ un incident de sécurité comme il s’en produit régulièrement s’est avéré être quelque chose de très différent, écrit Google. Premièrement, cette attaque n’était pas dirigée uniquement contre nous. En enquêtant, nous avons découvert qu’au moins vingt sociétés recouvrant un large spectre d’activités – incluant internet, la finance, la technologie, les médias et la chimie – ont été visées également.»

Deuxièmement, Google dit détenir «des preuves» qu’un des objectifs principaux des attaques était d’accéder aux comptes électroniques d’activistes chinois en matière de droits de l’homme. Selon l’enquête menée, elles auraient «échoué» – sauf dans deux cas, de manière limitée.

Troisièmement, l’investigation interne a révélé que les comptes Gmail de «douzaines» de défenseurs des droits de l’homme américains et européens ont été visités «de façon régulière» par «une tierce partie» en recourant au «phishing» et au «malwares», des mini-programmes informatiques utilisés par des fraudeurs pour obtenir des renseignements personnels et/ou perpétrer une usurpation d’identité.

Google a pris la mesure «inhabituelle» d’informer un large public de ces attaques «non seulement à cause de leurs implications en matière de sécurité et de droits de l’homme», mais aussi parce que cette information «mène au cœur d’un débat plus vaste sur la liberté d’expression».

De 2000 à 2003, le site google.com en chinois a été bloqué à plusieurs reprises par les autorités. Quand la société a lancé google.cn en janvier 2006, elle a accepté de limiter l’accès à un certain nombre de sites en échange de l’autorisation officielle pour offrir un service local. Cette concession venant d’une entreprise dont les fondateurs ont pour slogan «don’t be evil» («ne faites pas le mal») a été très mal accueillie par les internautes et les défenseurs des droits de l’homme.

Google s’en justifie aujourd’hui encore en réaffirmant sa conviction que «les bénéfices d’un accès accru à l’information pour la population chinoise et un internet plus ouvert l’emportent sur l’inconfort consistant à censurer quelques résultats de recherches». Mais, ajoute le communiqué, «nous avons été clairs en 2006 sur le fait que nous observerions attentivement les conditions, notamment les nouvelles lois et les restrictions de notre service. Si nous arrivions à la conclusion que nous sommes incapables d’atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés, nous n’hésiterions pas à reconsidérer notre approche envers la Chine.»

Tel semble avoir été le cas. «Nous avons décidé que nous n’acceptons plus de censurer les résultats de recherches sur le site google.cn, et nous discuterons ces prochaines semaines avec le gouvernement chinois les bases sur lesquelles nous pouvons offrir un moteur de recherches non-filtré dans les limites de la loi – si cela est possible. Nous sommes conscients que cela peut signifier la fermeture de google.cn, et peut-être de nos bureaux en Chine.»

Cette décision a été «extrêmement dure à prendre», poursuit Google, «et nous savons qu’elle peut entraîner de lourdes conséquences». Le communiqué, signé par David Drummond, juriste en chef de la société, précise qu’elle a été prise au siège américain, et non en Chine.

Sitôt connue, la décision a provoqué une intense activité sur le google.cn, qui peut être suivie à partir de ce site. Le mot «Tiananmen», du nom de la place où furent réprimées les manifestations estudiantines, était celui dont l’utilisation augmentait le plus rapidement. Ainsi s’affichait la photo emblématique de homme vu de dos, sacs plastique à la main, dressé tout seul, face à une colonne de chars pour entraver leur progression.

Cela ne signifie pas encore que les internautes chinois ont librement accès à l’information, car les résultats de recherches renvoient à des documents dont l’accès reste interdit par la «muraille de Chine électronique» mise en place par les autorités.

La société américaine n’est pas forcément en position de force dans son bras de fer avec les autorités chinoises. Sa part de marché dans le pays n’est que de 35,6% selon le consultant Analysys, contre 58,4% pour le moteur de recherche chinois Baidu.

L’action Google perdait 1,1% à New York mardi soir après la clôture de la bourse, tandis que celle de Baidu gagnait 6,8%.