Le salon d’attente du cabinet d’avocats de Linda H. en dit long sur ses clients. En dessous de l’inévitable estampe chinoise représentant des poissons rouges – symbole de prospérité – et à côté de l’incontournable «Maneki-Neko», le chat en plastique doré à la patte levée supposé inciter les visiteurs à dépenser leur argent, la galerie de souvenirs est un bon résumé des circuits mondiaux de l’évasion fiscale et de la finance offshore.

Une série de poupées russes donnée par un oligarque du gaz contemplent la statuette de Gengis Khan offerte par un magnat des mines mongol. Une photo grand format avec autographe du prince William et de son épouse Kate, amenée par un banquier de la City bien introduit chez les Windsor, toise la reproduction d’un cargo offerte par un armateur grec. La Suisse n’est pas oubliée: une boîte à musique ouvragée, frappée du drapeau de la Confédération, voisine avec une tour Eiffel assez piteuse. Pas besoin de carte de visite: Linda H., 54 ans, patronne d’une société avec filiales à Shanghai et aux îles Vierges britanniques, connaît par cœur ce monde financier opaque dans lequel le G20 et l’OCDE espèrent mettre de l’ordre.

Changements législatifs

L’intéressée, désireuse évidemment de garder l’anonymat, a préparé notre entrevue. Dans ses mains? La copie du journal officiel de l’ex-colonie britannique portant acte du vote, le 10 juillet 2013 par le Legco (Legislative Council – le parlement du territoire), d’une loi autorisant Hongkong à conclure des traités spécifiques d’échange d’informations fiscales (TIEA). Les pays ne disposant pas d’une convention de double imposition avec Hongkong pourront donc choisir cette voie, que les services du commissaire européen à la Fiscalité Algirdas Semeta examinent aussi. «Vous voyez, le filet se resserre, explique Linda, l’avocate. Hongkong aussi doit faire des concessions.»

Vrai? «Bien sûr que nous coopérons, confirme Katherine Kwong, l’une des porte-parole du bureau du Trésor, chargé des négociations fiscales. Le TIEA est un nouvel ­instrument juridique destiné à amener Hongkong au niveau des standards internationaux de transparence et de coopération.» Sauf que la place financière la plus importante du monde chinois sait jouer avec brio du «mur de bambou» qui la protège encore. Hong­kong, qui comme l’ex-colonie portugaise voisine de Macao n’est pas un pays souverain, ne peut pas signer la convention multilatérale d’entraide de l’OCDE, à laquelle Singapour s’est rallié. Autre barrière: Hongkong n’a toujours pas levé, une fois la demande d’information reçue d’un pays tiers, la nécessité d’une injonction judiciaire locale pour obliger les banques à transmettre les données requises sur leurs clients. Dernière palissade: le flou des termes utilisés et la volonté d’avancer à pas comptés: «Nous allons continuer de réviser nos standards en tenant compte de nos ­règles domestiques et de notre expérience pratique, poursuit Katherine Kwong. Notre objectif est de développer un modèle soutenable et de minimiser le fardeau administratif que cela engendre pour nos institutions financières.»

135 banques étrangères

Le cas de Hongkong est emblématique de la difficulté, pour l’OCDE et le G20, de parvenir à ce que toutes les places financières respectent des règles identiques, comme le réclame la Suisse. Le poids du territoire dans la finance globale est pourtant de taille: 135 banques étrangères et une vingtaine de banques locales y disposent d’une licence. Parmi elles figurent, selon la Hong Kong Monetary Authority, 45 banques privées gérant entre 500 et 600 milliards de francs d’actifs (contre 2600 milliards pour la Suisse et 1200 milliards pour Singapour). Impossible toutefois, à Hongkong, de dissocier la finance offshore du reste: «Les plus grands conglomérats du territoire appartiennent tous à des holdings enregistrés dans les îles Vierges britanniques (BVI), explique Stephen Vines, un commentateur économique réputé. Ici, l’offshore est la manière naturelle de faire du business. C’est la règle. Cela n’a rien de frauduleux.»

Dans la liste du Forum fiscal de l’OCDE, Hongkong est néanmoins mieux placé que la Suisse. Motif: une identification plus facile de l’ultime bénéficiaire des capitaux. Or les vétérans de la place nuancent: «Il est vrai qu’il n’est plus possible de passer la porte d’une agence bancaire et d’ouvrir un compte non résident, explique un financier lausannois installé ici. Il est vrai aussi que les sociétés BVI ouvertes par des non-résidents sont davantage surveillées. Mais il reste quantité de moyens de dissimuler. A l’exception des Américains, dont aucune banque ne veut, les riches ressortissants d’autres pays peuvent encore trouver refuge ici. D’autant qu’en cas de litige, l’arbitre des différends entre Hongkong et le G20 se trouve… à Pékin.»

La Chine est donc bien le sujet. L’OCDE se félicite de sa coopération fiscale sur le papier. Mais Pékin se montre pragmatique. «Pour les Chinois, Hongkong doit continuer d’attirer les capitaux étrangers, poursuit notre interlocuteur. C’est essentiel. Leur objectif est une transparence à sens unique, pour obtenir davantage des places financières comme la Suisse, où atterrissent les montants colossaux de l’évasion fiscale chinoise.»